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  Vol. 299 No. 5, 6 février 2008 TABLE OF CONTENTS
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Portrait d’Helena Modrzejewska


Figure 1
T. Ajdukiewicz, (1852-1916) Portrait d’Helena Modrzejewska, 1880, polonais. ® Musée National de Cracovie

Tadeusz Ajdukiewicz est né polonais en dépit de sa naissance dans la Voïvodie de Cracovie. Cette région après l’insurrection polonaise de la fin du XVIIIème siècle a été successivement autrichienne, polonaise puis, en 1846, à nouveau autrichienne à la suite d’une tentative de rébellion. Elle était donc administrée par l’Empire Austro-hongrois qui lui laissait, à dire vrai, beaucoup de liberté. C’est exactement à 14 km de là, dans une petite ville, Wieliczka, que naît Tadeusz Ajdukiewicz.

Doué pour le dessin, il est naturellement orienté dès 1868 vers les cours de Wladyslaw Luszczkiewicz à l’école des Beaux-Arts de Cracovie où il étudiera jusqu’en 1873. Wladyslaw Luszczkiewicz (1828-1900), peintre honnête, est surtout un grand pédagogue et un des premiers historiens d’art polonais.

Cracovie est alors un des centres européen de la culture. Vieille ville située sur la Vistule, elle abrite une célèbre université, l’une des plus vieilles d’Europe et offre un épanouissement à tous ceux qui, comme Tadeusz Ajdukiewicz, cherchent à se former dans le domaine artistique. Tadeusz n’étant pas un rebelle, il suit sagement pendant 5 ans les cours de son maître avant de se rendre pour compléter sa formation dans les académies de Vienne et de Munich ainsi qu’à l’atelier de Józef Brandt, peintre polonais appartenant à ce que l’on a appelé l’école de Münich.

Münich, depuis le règne de Louis Ier de Bavière, est devenue une ville d’art réputée et non plus seulement la ville de la bière. Fort justement Henrich Heine en a dit : « Munich est lovée entre l’art et la bière comme un village entre deux collines ».

Tadeusz a une vingtaine d’années, sa formation de peintre classique étant désormais terminée, il décide de voyager et de voir le monde. Vers 1877, il part à Paris où vient de décéder Gustave Courbet et où le pays vit la fameuse crise de 1877 qui allait asseoir, pour le meilleur et pour le pire, la IIIème République. Mais Tadeusz est un classique, l’impressionnisme n’est pas sa formation. Alors que Degas, Rodin et Pissaro mènent le bal, Tadeusz reste dans sa coquille. A-t-il seulement le temps de rencontrer les peintres de cette école ? Paris ne lui plaît pas. Trop mouvementée, trop tournée vers le modernisme après des années d’obscurantisme. Paris, en 1877, est une ville qui sort à peine d’une guerre et d’une tentative de révolte. Une ville qui a envie de vivre.

Tadeusz ne s’y sent pas à l’aise, il est un homme d’Europe Centrale, un slave. Il repart pour le Proche-Orient qui se désagrège en même temps que l’Empire Ottoman dont les années sont désormais comptées. Mais la lumière est telle, qu’elle ne peut que séduire un peintre. Tadeusz regarde, observe, admire et emporte avec lui les souvenirs de Damas et de Jérusalem.

A trente ans, il est désormais mûr en tant que peintre et en tant qu’homme. En 1882, il décide de s’installer à Vienne, la Vienne de François-Joseph, la cité européenne de la culture. Reconnu pour son habile talent et son travail honnête, il travaille pour la cour impériale et pour l’aristocratie. Il s’est spécialisé dans les portraits, les tableaux de genre ou les parades militaires. Le tableau présenté est celui d’Helena Modrzejewska, la plus grande actrice polonaise ayant existé. Sa renommée fit le tour de monde, elle finira sa vie, devenue citoyenne américaine, à Newport Beach, en Californie, en 1909.

A une époque où la vanité est bien de se faire représenter en pied au-dessus de cheminées monumentales, Tadeusz ne manque pas de travail. Il reste à Vienne une année, le temps de rencontrer les personnes influentes, les talents naissants et ce siècle qui s’étire vers une fin qui n’arrive pas :

« Qui êtes-vous ?

Je m’appelle Tadeusz Ajdukiewicz.

Polonais ?

Oui.

Vous parlez bien allemand.

Je suis né à Krakow.

Ah, cela explique tout.

Et que faites-vous ?

Je suis peintre.

Que peignez-vous ?

Des portraits, des paysages, des scènes de genre.

Quelles scènes ?

Des parades militaires, des généraux, des officiers.

Vous flattez la vanité.

Non, je gagne ma vie.

C’est bien ce que je vous dis, vous flattez leur vanité.

Vous êtes bien jeune pour me juger ainsi, Dr Schnitzler.

Je ne suis pas encore médecin, mais j’ai déjà vu bien des choses à Vienne. Ne restez pas ici, vous deviendrez un courtisan, mais un mauvais peintre.

Je n’en ai pas l’intention, je veux économiser suffisamment d’argent pour partir l’année suivante.

Où ?

A Londres probablement.

Je vous souhaite de réaliser votre rêve, Monsieur Ajdukiewicz. Quels symptômes vous amènent ici à l’Hôpital Général de Vienne ? »

Tadeusz Ajdukiewicz avait ainsi probablement rencontré Arthur Schnitzler, par hasard, ou parce que le destin l’avait voulu.

Mais il avait compris que Vienne était avant tout la Cour impériale et que pour s’y faire un nom en étant polonais, il fallait des relations qu’il n’aurait sans doute jamais.

Il part donc à Londres, précédé d’une réputation honnête, on lui commande le portrait du prince Albert Edouard de Galles, le futur Edouard VII, père du prince Albert Victor, que l’on a soupçonné pendant un certain temps, mais à tort, d’être Jack l’éventreur et dont la sexualité fit beaucoup jaser le monde aristocratique européen.

Tadeusz n’a le temps ni de rencontrer ni surtout d’apprécier les compositions flamboyantes de Turner, pas plus que cette Angleterre qui bouillonne autour de la Reine Victoria. Conan Doyle, Oscar Wilde et Lewis Caroll resteront des étrangers pour Tadeusz. Il court et semble ne pas vouloir s’arrêter. Tadeusz est un anxieux profond. Il y trouve un moteur qui l’emmène autour du monde.

Alors, insatiable, voyageur infatigable, Tadeusz, qui n’est pourtant pas Rimbaud, se rend en 1884, à Constantinople, dans un empire en plein déclin où il est l’invité du sultan Abdhulhamid II, le Sultan Rouge. Abdhulhamid II, bien avant le génocide des Arméniens par les Turcs, a commencé une politique de purification ethnique vis-à-vis des chrétiens. Cocasse et tragique la présence de ce peintre catholique polonais chez le boucher ottoman.

Mais, Tadeusz continue son errance. Il part successivement à Sofia, Saint-Pétersbourg et Bucarest où, enfin, il pose ses bagages. En Roumanie, il devient le peintre de la cour du roi Charles Ier en 1914.

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, il revient dans son pays natal où, à 62 ans, il s’engage dans les légions polonaises. Ce n’est guère raisonnable. Peut-être veut-il rencontrer sa fin ?

La guerre n’est en effet pas une affaire d’enfants ou de vieillards. Tadeusz a surestimé ses forces. Ne supportant pas les conditions de vie difficiles de la guerre, il décède peu après, lors d’un hiver froid, en 1916 à Cracovie qui, en 1918, devient enfin polonaise.

Un an après, en 1917, son cousin germain, Zygmunt Ajdukiewicz, peintre comme lui, dont le parcours avait suivi le même classicisme, s’éteint à son tour.

Tadeusz reste pour la postérité un peintre classique, sans originalité majeure, mais au coup de pinceau sûr et à l’œil aiguisé. Il sait rendre dans ses portraits ce qui est, avec, si nécessaire, ce petit coup d’éclat qui met en valeur son modèle. Dans la pure lignée des peintres officiels des cours d’Europe, il a su se faire un nom. Un peu oublié aujourd’hui, il appartient à ces nombreux peintres que l’on voit dans les musées, et que l’on oublie en passant. Son talent n’en demeure pas moins.

Jean Gavaudan, MD







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