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Reading: Entre aliénation et déception identitaire: étude de la Traversée de la Mangrove de Maryse Condé

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Research Article

Entre aliénation et déception identitaire: étude de la Traversée de la Mangrove de Maryse Condé

Author:

Christophe Premat

Stockholm University, SE
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Abstract

Crossing the mangrove allows us to present an articulation between several narrative voices that have a point of view and a relation to a foreigner that has just died, Francis Sancher. If all the characters feel concerned by the death of Francis Sancher, the writing reveals a genealogical trauma that flushes in relationships. The article focuses on the style marks of Maryse Condé that revolve around this quest using the concepts elaborated by Henry Louis Gates in literary criticism. Crossing the mangrove seems to be more aligned with the negritude movement than the one of the creolization.

 

Rèsume

La Traversée de la mangrove permet de présenter une articulation entre plusieurs voix narratives qui ont un point de vue et une relation à l’étranger qui vient de mourir, Francis Sancher. Si tous les personnages se sentent concernés par la mort de Francis Sancher, l’écriture révèle un traumatisme généalogique qui affleure dans les relations. L’article s’intéresse aux marques de style de Maryse Condé qui tournent autour de cette quête en utilisant les concepts élaborés par Henry Louis Gates en critique littéraire. La Traversée de la mangrove semble s’inscrire davantage dans les prolongements du mouvement de la négritude que ceux de la créolisation.

 

Mots-clés: singer; bâtardise; veillée funèbre; voix narratives; généalogie

How to Cite: Premat, C., 2020. Entre aliénation et déception identitaire: étude de la Traversée de la Mangrove de Maryse Condé. Karib – Nordic Journal for Caribbean Studies, 5(1), p.2. DOI: http://doi.org/10.16993/karib.37
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  Published on 18 Jun 2020
 Accepted on 25 Feb 2020            Submitted on 09 Jul 2017

Introduction

« Le roman francophone des Antilles apporte aussi un changement considérable dans la nature des êtres humains. Les hommes et les femmes qui en sont les héros n’appartiennent pas à une catégorie bien définie. Ils mettent à mal le concept de race. Ils sont le résultat d’influences diverses. Ils portent en eux des sangs multiples et sont souvent des métis, sensibles à la couleur de leur peau qui conditionne la qualité de leur existence », confiait récemment Maryse Condé dans un entretien mené par Roger Célestin (Célestin, 2018, p. 153). Cette affirmation caractérise en profondeur le geste littéraire de Maryse Condé notamment dans son ouvrage la Traversée de la mangrove publié en 1989 qui est fondamentalement tissé autour de destins narratifs singuliers. Tous les chapitres de ce roman sont construits comme des points de vue sur la mort d’un personnage redouté, Francis Sancher. Le récit prend l’allure d’une veillée funéraire où les personnages évoquent leur relation à Francis Sancher, cet étranger qui a traversé leur vie. Chaque voix narrative permet de révéler le personnage dans son épaisseur sociale avec deux types de récits, le récit impersonnel à la troisième personne transfigurant la mort de Francis Sancher pour lui donner une signification historique et le récit subjectif à la première personne du singulier (Jatoe-Kaleo, 2013, p. 173). Cette polyphonie narrative a été abondamment discutée au sein des théories postcoloniales puisqu’il s’agissait de ménager la multiplicité des monologues selon la position sociale et historique des personnages qui n’ont eu ni la même relation à Francis Sancher ni la même perception de son identité. Le titre lui-même renvoie à la mise en abyme du récit écrit par Francis Alavez Sancher dont la mort catalyse tous les récits qui se chevauchent par le biais d’un séquençage minutieux de voix narratives.

Tu vois, j’écris. Ne me demande pas à quoi ça sert. D’ailleurs, je ne finirai jamais ce livre puisque, avant d’en avoir tracé la première ligne et de savoir ce que je vais y mettre de sang, de rires, de larmes, de peur, d’espoir, enfin de tout ce qui fait qu’un livre est un livre et non pas une dissertation de raseur, la tête à demi fêlée, j’en ai trouvé le titre: ‘Traversée de la Mangrove’ (Condé, 1989, p. 192).

Dans un dialogue avec l’une des voix narratives, Vilma, Francis Sancher commente l’exercice d’écriture sous forme de clin d’œil puisque la mangrove devient la métaphore de la matière littéraire où le lecteur tente de démêler les différentes identités des personnages ayant rencontré ou entendu parler de Francis Sancher. Que ce soit par la rumeur, par la rencontre ou le discours rapporté, Francis Sancher hante le récit avec cette idée que l’identité n’existe pas per se, mais qu’elle est une mise en relation, un contact changeant selon les personnages et les contextes socio-historiques rencontrés.

L’hypothèse que nous souhaiterions formuler ici est que ce roman concentre les caractéristiques d’un style littéraire tendu vers une quête généalogique impossible (Premat, 2016). Il y a une forme de tragédie de l’impossible origine qui est figurée et qui caractérise d’une certaine manière un ethos collectif caribéen. Le récit, inachevé par essence, car on ne sait pas où la mangrove commence ni où elle s’achève, devient le lieu d’un drame collectif d’une population éprouvant son destin collectif entre aliénation et déception identitaire. La mise en abyme révèle cette manière de traverser la trajectoire de destinées individuelles reliées à un traumatisme collectif initial (Kemedjio, 2006, pp. 15–39) ; c’est dans cette perspective que nous aimerions discuter la filiation profonde de la Traversée de la mangrove avec le mouvement de la négritude, même si Maryse Condé avait largement exprimé une distance avec ce mouvement (Selao, 2016, p. 74). À cette fin, nous souhaiterions utiliser les concepts développés par Henry Louis Gates autour du singe signifiant pour étudier de plus près le style de la Traversée de la mangrove (Gates, 2014). Si les travaux d’Henry Louis Gates sont principalement tournés vers les origines de la communauté afro-américaine (Gates, 2014), l’œuvre de Maryse Condé reste marquée par le fait que les personnages singent une identité qu’ils ne trouvent jamais. Ils inversent le langage en adaptant des codes vernaculaires et tentent par là-même d’élucider le mystère que représentait Francis Sancher. La singerie ne renvoie pas véritablement dans ce cas à une relation classique entre le signifié et le signifiant, elle actionne un discours sur Francis Sancher produit par la circulation des voix narratives.

Il peut apparaître contradictoire de faire référence aux travaux d’Henry Louis Gates en critique littéraire qui ont mis en évidence l’aliénation ancestrale de la communauté afro-américaine alors que Maryse Condé enracine son écriture dans la contestation de tout déterminisme socio-culturel à partir du recours à l’hybridité des voix narratives (De Souza, 2000, p. 824), les personnages ne pouvant être saisis que dans la multiplicité des connexions qu’ils ont entre eux. Certes, l’existence humaine est marquée par des traumatismes collectifs profonds (esclavage, colonialisme), mais selon Condé l’identité ne serait être totalement déterminée par ces données initiales. L’un des ouvrages centraux d’Henry Louis Gates, The Signifying Monkey, est paru pour la première fois en 1988 soit un an avant la première publication de la Traversée de la mangrove. Henry Louis Gates s’appuie sur la manière dont les canons esthétiques afro-américains se glissent dans le jeu des signifiants pour imiter la langue des dominants, la piéger et recréer du sens au sein de cet entrelacs. Peu d’études ont relié l’écriture de Maryse Condé à l’entreprise critique d’Henry Louis Gates si ce n’est de manière incidente (Ortega, 2014, p. 133 ; Barnes, 1999). L’un des apports majeurs de la critique littéraire et sociologique d’Henry Louis Gates est d’avoir montré la filiation entre les narrations des esclaves (slave narratives) et la perversion des canons esthétiques américains avec l’émergence de la littérature afro-américaine. Néanmoins, il subsiste un paradoxe puisque si la créativité littéraire afro-américaine peut être étudiée à partir de la singerie des représentations de la communauté afro-américaine par une esthétique coloniale, la recherche généalogique demeure importante pour Henry Louis Gates alors que l’écriture de Maryse Condé la dépasse pour envisager l’absurdité de ces catégories ; ce qui compte, c’est la poétique de la relation (Glissant, 1990) confrontant les personnages provenant de multiples contextes sociaux et culturels. Les deux auteurs semblent se rejoindre momentanément sur la question de la bâtardise qui caractérise l’état d’une généalogie non assumée. Nous proposons de commenter le texte à la lumière de ce paradoxe pour envisager les marques stylistiques de cette résistance à l’entreprise généalogique chez Maryse Condé. Quelles sont les marques stylistiques du signifying monkey dans la Traversée de la mangrove ?

1) Présentation des études antérieures

De nombreuses études ont porté sur la manière dont l’écriture de Maryse Condé mettait en scène la géographie et l’histoire à partir de la dislocation des lieux et des espaces (Gaensbauer, 2004, p. 397) avec en particulier l’évocation d’une pensée rhizome enveloppant la racine et minant d’emblée toute entreprise généalogique (Munley, 2018, p. 183). Pourtant, dans ses interviews, Maryse Condé évoque ce qui l’a conduit à devenir écrivaine. Elle revient sur le fait qu’une écrivaine afro-américaine lui eût confié qu’elle était devenue écrivaine en transcrivant les histoires de sa grand-mère (Taleb-Khyar, 1991, p. 348). Autrement dit, la perspective généalogique au sens de transcriptions de narrations anciennes est présente dans l’engagement littéraire de Maryse Condé. S’il y a une polyphonie narrative, cela ne signifie pas que les personnages mentent sur l’identité de Francis Sancher, mais qu’ils ont des relations différentes.

« Mesdames, messieurs, je vous dis bonsoir; je vous dis bien le bonsoir. La compagnie, bonsoir! Moi que vous voyez là devant vous, pareil à un bwa bwa que l’on promène dans les rues de La Pointe en temps de Carnaval, je ne suis quand même pas un Nègre ordinaire » (Condé, 1989, p. 153). Voici l’incipit d’un chapitre de la Traversée de la mangrove correspondant à une voix narrative et à un point de vue sur le personnage de Francis Sancher. Onyeoziri insiste pour sa part sur l’originalité de l’écriture de la Traversée de la mangrove où les personnages sont mêlés au destin de la mangrove qui constitue à la fois l’enveloppe et la limite du monde des personnages (Onyeoziri, 2001). Patrick Chamoiseau avait, dans sa lecture de la Traversée de la mangrove identifié la mangrove à l’espace de la conscience collective (Chamoiseau, 1991, p. 390). Certaines études se sont intéressées légitimement à la conception de la créolité contenue dans la Traversée de la mangrove qui propose des contacts entre des populations ayant des origines et des histoires différentes. Ainsi, le recours aux catégories propres à la philosophie de la relation d’Édouard Glissant semble plus naturel pour penser le détour dans les stratégies narratives de Maryse Condé (Lionnet, 1993, pp 479–480 ; Viala, 2011 ; Brown, 2015, p. 94) ou pour évoquer une écopoétique commune (Kullberg, 2015). Certaines études récentes proposent de réévaluer le style de la Traversée de la mangrove à partir de la lecture de Patrick Chamoiseau (1991) et la philosophie de la trace d’Édouard Glissant (Herbeck, 2017, p. 132). Cependant, cette dernière lecture suggère l’idée d’architecture de l’authenticité où le corps de Francis Alvarez Sanchez ramène l’ensemble des voix narratives à une identité qu’ils refusent. C’est certainement cet aspect qui mériterait d’être questionné pour envisager une perspective généalogique au sens où l’entend Henry Louis Gates lorsqu’il travaille sur les canons esthétiques de la littérature afro-américaine.

Francis Sancher est l’étranger, celui qui réveille des perceptions ancestrales, celui qui rappelle un système de classifications et une réalité sociale dont tous les personnages n’ont pas conscience. La mort de Francis Sancher agit comme une catalyse déconstructrice, principe que l’on retrouve dans les concepts utilisés par Henry Louis Gates (Gates, 1990, p. 44). En outre, dans la Traversée de la mangrove, il est question de singer la bâtardise qui révèle une généalogie non assumée. L’écosystème narratif s’enracine dans des identités multiples dont le lecteur peine à reconstruire les différents méandres. C’est pour cette raison que la Traversée de la mangrove s’inscrit dans les prolongements du courant de la négritude qui tendait à dépasser cette aliénation sans l’oublier (Carruggi, 2010, p. 25).

2) Singer la bâtardise

Parler de généalogie déceptive, c’est inévitablement affronter la question de la bâtardise qualifiant l’état d’un enfant né hors reconnaissance officielle de l’union des parents. Selon le dictionnaire de l’Académie française, le terme bastard remonte au XIe siècle et provient du latin bastardus signifiant l’origine incertaine. On parle de lignée bâtarde pour caractériser la descendance d’un bâtard1 et il semble qu’elle soit au cœur des relations entre les personnages du roman comme si ces liens étaient indissolubles pour les habitants de Rivière au Sel. La bâtardise vient bouleverser l’ordre sociétal (Bouysse-Cassagne, 1994), elle est ce qui modifie et altère les relations entre les personnages et Francis Sancher, elle condamne par avance toute quête généalogique précise. Le bâtard perturbe l’ordre naturel et juridique, il existait par exemple en France un droit de la bâtardise (Chevailler, 1958) qui a été discuté notamment pendant la Révolution française (Bloquet, 2012), certains voyant dans ces mesures une manière d’étendre les droits de la noblesse à partir de la question de l’héritage.

Pour sa part, Henry Louis Gates évoque la manière dont une esthétique littéraire afro-américaine s’est construite en refusant d’être ramenée à des catégories raciales. Les écrivains afro-américains étaient perçus comme adoptant un style qui reflétait leur identité raciale et selon Gates, les années 1960 ont commencé à saper cette liaison sous-jacente (Gates, 1990, p. 45). En réalité, il a fallu pour nombre de ces écrivains porter le fardeau d’un lien consubstantiel à l’esclavage, les slave narratives ramenaient sans cesse ces écrivains à cette aliénation raciale et sociale (Gates, 1990, p. 85). C’est pour cela qu’il a fallu commencer à élaborer des canons esthétiques et littéraires contournant les codes dominants et établis du langage. L’usage du vernaculaire a conforté cette manière d’inverser la signification de certains paradigmes et de faire jouer les signifiants et les masques pour développer une critique littéraire efficace. Le style de Maryse Condé dans la Traversée de la mangrove renoue avec cette construction des slave narratives.

J’ai vu les Blancs s’enfuir en grand désordre dans les tourbillons de fumée des plantations. J’ai vu les Nègres en joie donner dos à la gratelle de la canne et se presser dans les chemins menant aux villes. Les femmes les regardaient partir, essuyant l’eau de leurs yeux et berçant les bâtards, sachant quand même dans le secret de leurs cœurs que cette liesse ne durerait pas et que, sous peu, la misère les ramènerait au bercail (Condé, 1989, p. 243).

Cet extrait structuré par l’anaphore « j’ai vu » qui accélère les cadences fait référence à la période d’émancipation qui a succédé à celle de l’exploitation esclavagiste. La gratelle renvoie ici au labeur et aux démangeaisons des travailleurs de la canne à sucre. Lorsqu’ils procédaient à l’épaillage (le fait d’enlever les feuilles mortes des plants de canne), les esclaves se blessaient à cause des aiguillons de la canne (Franqueur et al., 1837, p. 145). L’émancipation des esclaves par rapport aux plantations ne gomme pas le stigmate social d’où le retour de la misère. Les bâtards renvoient aux enfants ne connaissant pas leur paternité, la phrase « les femmes les regardaient partir » montrant un procès inaccompli dans le temps puisque le retour des hommes n’est pas précisé (Patard, 2007). Il s’agit d’un imparfait narratif illustrant la relation entre le procès et la conscience des événements qui allaient se produire. Il y a une simultanéité du procès puisque le narrateur décrit deux réalités (la fuite des Blancs et la joie des Noirs) tout en s’attachant à la perception des femmes esclaves ayant conscience des événements et de leurs conséquences (Gosselin, 1996, p. 22).

Dans son écriture, Maryse Condé ne récuse pas le réel, elle en rétablit la négativité pour donner la parole à ces générations postérieures au scandale de l’esclavage. Il est fait mention dans le livre de plusieurs catégories de populations qui ont des statuts sociaux bien spécifiques. « Nous, nous avons beaucoup de photos de famille. Jusqu’à notre aïeul Gabriel. C’était un béké de la Martinique qui a épousé une Négresse. À cause de cela, sa famille l’a renié et il est venu s’installer à la Guadeloupe » (Condé, 1989, p. 99). Le terme de béké apparaît dans le récit de Lucien Évariste, il renvoie aux premiers colons qui se sont installés sur l’île. La généalogie fonctionne ici comme un principe de séparation des classes et des couleurs (Bonniol, 1992), principe matérialisé par la photo de famille même si dans les faits, les mélanges étaient fréquents. Le fait d’avoir épousé une négresse le fait entrer dans le domaine de la bâtardise qui brise les liens familiaux. Ces récits qui croisent des points de vue sur Francis Sancher se rapprochent parfois du délire puisque des faits et des hallucinations s’emmêlent ; or, comme le disait Achille Mbembe, le terme de « nègre » apparaît dans des discours racistes et délirants qui refusent et veulent n’avoir rien en commun avec celles et ceux qui sont rejetés (Karera, Palumbo, Mbembe, Boulbina, 2016, p. 153).

La généalogie trouve un écho chez Gates, qui à partir de documents historiques (lettres, documents officiels, photos de famille), a pu donner des éléments tangibles et concrets de l’histoire d’un certain nombre de célébrités afro-américaines Appiah, Gates, 2003); or, dans les romans de Maryse Condé, on trouve une quête généalogique non systématique, mais empreinte de cette interrogation sur les origines, même si Maryse Condé se défend d’avoir un lien quelconque à la culture afro-américaine (Pfaff, 1996, p. 16). En outre, ayant enseigné aux États-Unis, Maryse Condé est très consciente des tensions raciales très fortes dans ce pays.

Dans chaque contexte national, le problème est différent. Dans certains cas, on préfère employer un Africain, plutôt qu’un Afro-Américain : si ce dernier en veut à la personne africaine, ce n’est pas pour des raisons ethniques, mais parce qu’il voit que l’autre est utilisé contre lui. Par exemple, dans mon cas, je ne suis pas certaine que la place que j’ai obtenue au département de français de l’université de Columbia, et la liberté conséquente que j’aie eue, auraient été accordées à un Afro-Américain (Poinsot, Treiber, 2013, p. 3).

De ce point de vue, son œuvre correspond davantage à l’entreprise du sociologue Roger Bastide tentant de démêler ces différentes strates dans l’hybridité produite par le traumatisme du transbordement (Bastide, 1967). Certes, Roger Bastide s’intéresse à la communauté afro-américaine, mais il étudie les communautés fondées par des esclaves en fuite dans les Caraïbes. Dans la Traversée de la mangrove, le terme de nèg-mawon est employé, il ne renvoie pas seulement à l’esclave qui s’est affranchi, mais à toute personne refusant les conditions d’oppression. Historiquement, les termes de marron, cimarrón (en espagnol) et de maroon se réfèrent aux esclaves fugitifs et rebelles (Tardieu, 2006, p. 239). L’ouvrage est hanté par une bâtardise, c’est-à-dire une paternité impossible à retrouver si ce n’est dans les lignées issues de la traite (Jolivet, 1987, p. 289). Les bâtards ont à investir l’avenir du marronnage pour incarner des figures de résistance. Comme l’écrivait Édouard Glissant à propos des résistances populaires, « ainsi la résistance ne manqua pas: mais ses prolongements furent par force incertains: elle ne permit jamais l’éclosion de la nation » (Glissant, 1981, p. 71). Pour Édouard Glissant, la créolisation est ce qui ajoute le métissage à cette origine non oubliée, perspective qui est appréhendée de manière différente par l’un des personnages de la Traversée de la mangrove, Emmanuel Pélagie, dont le discours est rapporté par Dodose Pélagie.

C’est une erreur de croire qu’Africains et Antillais ont quoi que ce soit en commun, hormis la couleur de peau. Enfin dans certains cas! Regardez ma femme! On dirait une Espagnole! Notre société est une société métisse. Je rejette le mot ‘créole’ que certains emploient. J’ai travaillé cinq ans en Côte-d’Ivoire dans une plantation d’okoumé (Condé, 1989, p. 199).

Emmanuel Pélagie appartient aux personnages ayant un discours idéologique structuré assumant cet héritage et cet ancrage dans le métissage. Le terme « créole » est pour ce personnage une conséquence de la colonisation, la référence au travail de la plantation est également omniprésent. Dans le roman, la notion de créolité est mise à distance et même moquée, ce qui rappelle les réticences que Maryse Condé avait à son égard. Elle a d’ailleurs essuyé des critiques à ce sujet à l’instar de celle de Jean Bernabé :

on distingue notamment une attitude ambiguë faite de clins d’yeux envers le mouvement de la créolité, assortis de multiples tentatives de récupération: à l’extérieur, dans le vaste monde des universités américaines, on tient colloque sur la créolité, en s’en réclamant hautement, mais tout en se gardant d’y inviter ceux-là mêmes qui risqueraient de porter ombrage ou de dénoncer une imposture; à l’intérieur, on prend soigneusement ses distances, par pur calcul et stratégie d’image littéraire en direction du lectorat antillais (Bernabé, 1998, p. 76).

En réalité, les créolistes s’opposent au mouvement de la négritude d’Aimé Césaire. Nous avons ainsi une lutte de conceptions qui existe au sein de cette mangrove, à savoir ceux qui défendent une négritude comme humanisme refusant toute forme d’esclavage et ceux qui sont plus dans la traversée créoliste. Dans certains entretiens, Maryse Condé avait critiqué l’illusion du mouvement de la négritude qui ramenait la quête généalogique à l’Afrique vue comme une patrie fantasmée (Selao, 2016, p. 76). Pourtant, le style de la Traversée de la mangrove ne condamne pas directement cette approche. D’autres voix narratives dans le roman à l’instar de celle de Man Sonson revendiquent l’idée d’un nouveau commencement en dehors de ce traumatisme initial.

Peut-être qu’il a raison. Peut-être qu’il faut déraciner de nos têtes l’herbe de Guinée et le chiendent des vieilles rancœurs. Peut-être qu’il faut apprendre de nouveaux battements à nos cœurs. Peut-être que ces mots-là, noirs, blancs, ne signifient pas grand chose! (Condé, 1989, p. 82).

L’utilisation du zeugme sémantique est ici typique avec l’alliance entre des mots concrets (« déraciner l’herbe de Guinée ») et un terme abstrait (« rancœurs »). Le zeugme sémantique est une figure de style consistant à rattacher deux éléments disparates comme c’est le cas avec l’herbe et les rancœurs. Selon Fontanier,

le zeugme consiste à supprimer dans une partie du discours, proposition ou complément de proposition, des mots exprimés dans une autre partie, et à rendre par conséquent la première de ces parties dépendante de la seconde, tant pour la plénitude du sens que pour la plénitude même (Fontanier, 1977, p. 313).

Ainsi, la racine africaine de la malédiction est à déterrer pour pouvoir envisager la possibilité d’un nouveau commencement. Les personnages ont inévitablement un point de vue, selon leur situation, sur leur identité et leur lien à ce traumatisme initial. Des gestes aussi élémentaires sont à instituer pour sortir de cette circularité des origines. La référence à l’esclavage fonctionne comme une forme de malédiction aliénante qu’il faut écarter. L’anaphore crée un rythme très particulier où le présent prend une valeur de vérité générale. Man Sonson rapporte les paroles de Francis Sancher dans son récit, « je suis venu mettre un point final, terminer, oui, terminer une race maudite » (Condé, 1989, p. 85). Cette expression est intéressante car elle est inhabituelle. « Terminer » renvoie à l’achèvement d’un travail et signifierait mettre un point final, boucler. L’usage de l’article indéfini « un » est à relever dans cette expression refaite puisque cette race est celle de la Guadeloupe dans la mesure où les noirs de Guadeloupe ont cultivé leur propre malaise identitaire au sein de cette mangrove. En même temps, Francis Sancher incarne la figure du bâtard qui vient renvoyer cette origine traumatisante et scandaleuse. Le terme de « bâtard » revient dans le récit de Man Sanson qui rapporte ce qu’on dit de Mira sans approuver ces propos. « -Qu’est-ce qu’elle croit ? Non, qu’est-ce qu’elle croit ? Est-ce qu’elle oublie qu’elle sort du ventre d’une Négresse noire comme toi et moi ? Est-ce qu’elle oublie qu’elle est bâtarde avec ça ?» (Condé, 1989, p. 83). Dans la perception des personnages, le noir est équivalent ici à la malédiction absolue, la figure repoussoir, c’est-à-dire l’esclave, celui qui ne s’appartient pas. Francis Sancher réveille en réalité la mauvaise conscience des personnages en mêlant toutes ces origines. Chaque personnage évoque d’une certaine manière sa généalogie réelle ou imaginée en se positionnant par rapport à Francis Sancher.

Quand elle revient sur la construction de ce personnage, Maryse Condé montre que cet étranger révèle par sa mort les réactions des différents habitants de Rivière au Sel, il révèle les rancœurs, l’animosité, les ressentiments et les discours racialistes qui ne veulent pas se reconnaître dans cette figure errante et migrante. Francis Sancher incarne d’une certaine manière le croisement des chemins, les liens entre les différents personnages et les lieux, il recèle une poétique relationnelle qui est la caractéristique de la littérature antillaise (Glissant: 1984, pp. 84–85). Il mime les méandres de la mangrove et rejoint la figure du singe signifiant au sens de Gates, sa bâtardise révèle une origine impure. Une distinction originelle est d’ailleurs posée entre les noirs de Guadeloupe, ceux de Martinique et les noirs des Caraïbes. Selon Mira Lameaulnes, Francis Sancher n’avait pas la même personnalité que les gens de Guadeloupe.

Sans doute parce qu’il venait d’Ailleurs. D’Ailleurs. De l’autre côté de l’eau. Il n’était pas né dans notre île à ragots, livrée aux cyclones et aux ravages de la méchanceté du cœur des Nègres. D’Ailleurs (Condé, 1989, p. 63).

Le zeugme sémantique est omniprésent dans le roman pour nommer cette indécision collective et ces points de vue divergents des voix narratives quant à ce que révèle la mort de Francis Sancher. « L’île à ragots » illustre la référence concrète à la mangrove et au dédale des rumeurs. En l’occurrence, les récits des différentes voix narratives fonctionnent comme des bribes de rumeur qui s’articulent entre elles pour produire une image du mort Francis Sancher. Le zeugme sémantique est double ici puisque « l’île à ragots » est redoublée par l’alliance entre « cyclones » et « ravages de la méchanceté ». L’île est vécue comme un enfermement quasi incestueux où tout renvoie à une profonde malédiction ancestrale qui continue à errer entre les récits des personnages. L’adverbe “d’ailleurs” est répété deux fois et encadre la description de l’île, il met en valeur le double zeugme sémantique renforçant cet emprisonnement. Les noirs sont frappés de cette malédiction et de la perception de leur milieu, l’eau est l’élément qui isole et circonscrit cette malédiction. L’auteur emprunte un style biblique pour évoquer la perception de ce faux messie qu’est Francis Sancher qui vient réveiller le spectre de cette malédiction pour tenter de la conjurer (Le Rumeur, 1997, p. 506). Il a cette force de partager les eaux pour venir en Guadeloupe, mais les récits sont équivoques sur son rôle. Francis Sancher est tantôt perçu comme un personnage procurant du bien (un adjuvant) tantôt comme un personnage maléfique responsable de viols collectifs. « Qui était-il en réalité cet homme qui avait choisi de mourir parmi eux? N’était-il pas un envoyé, le messager de quelque force naturelle? » (Condé, 1989, p. 252). Il vient engrosser une série de femmes pour alimenter cette bâtardise et cette quête de paternité. Les voix narratives du récit sont en fait la traduction de la conscience des personnes veillant le corps de Francis Sancher, certaines alimentant le recueillement devant un mi-dieu, d’autres refoulant ce personnage démoniaque. Ce sont les femmes qui abritent cette bâtardise et qui deviennent les figures matricielles du renouveau.

Le recours systématique à des figures de style comme le zeugme sémantique et l’hypallage mettent en évidence cette volonté de singer les significations et les traditions (Gates, 2014, p. 146). Les noirs de ce récit perçoivent, enregistrent, imitent et dans leur restitution révèlent la plus grande violence du réel. Le concept de voix narrative est également extraite des travaux d’Henry Louis Gates car ces voix noires ont émergé progressivement dans la littérature (Gates, 2014, p. 147). La littérature vernaculaire a été fondée sur la volonté de mettre en évidence la recherche de signification de ces slave narratives, Gates utilisant à dessein l’expression oxymorique « literature of the slave » (Gates, 2014, p. 145) pour se référer aux perceptions des récits des esclaves qui souhaitaient avant tout avoir une voix reconnue.

La généalogie réelle ou imaginée a des conséquences déterminantes sur les relations entre les personnages de la Traversée de la mangrove. On ne mélange pas les couleurs, les noms et les strates sociales et pourtant le métissage atténue la portée de cette différenciation sociale. Dans le récit de Loulou, il y a eu ce dialogue et cette tentative de dire à Francis Sancher qu’il est du même monde.

Écoute bien ce que je suis venu te dire. Nous appartenons au même camp. Dans les livres d’histoire, on appelle nos ancêtres les Découvreurs. D’accord, ils ont sali leur sang avec des Négresses; dans ton cas je crois aussi avec des Indiennes. Pourtant nous n’avons rien de commun avec ces Nègres à tête grinnée, ces cultivateurs qui ont toujours manié le coutelas ou conduit le cabrouet à bœufs pour notre compte (Condé, 1989, p. 127).

Francis Sancher ne rentre pas dans ce jeu de différenciation entre colons esclavagistes et anciens esclaves. Le sang porte une forme de stigmatisation qui ne résiste pas à la puissance du métissage. Les découvreurs sont les colons qui ont ensuite influencé pour des siècles la perception des rapports sociaux. La réalité est venue rattraper ces hérauts du colonialisme dans la mesure où ils se sont mélangés a minima avec les populations qu’ils ont massacrées. Le rapport aux ancêtres est ici inversé puisque Loulou propose à Francis Sancher d’effacer leur souillure. Il est question dans le roman du « sang-mêlé » (Condé, 1989, p. 130) et des mulâtres. Le mulâtre partage avec le bâtard une origine non assumée puisque ce terme colonial s’applique à ceux qui ont des parents de couleur différente et qui troublent le jeu de distribution sociale des rôles (Rogers, 2003, p. 85). Dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Jaucourt présentait en 1751 le terme de mulâtre comme un mot utilisé par les voyageurs. Voici ce qu’il écrivait:

Dans les îles françoises, mulâtre veut dire un enfant né d’une mere noire, & d’un pere blanc; ou d’un pere noir, & d’une mere blanche. Ce dernier cas est rare, le premier très-commun par le libertinage des blancs avec les négresses. Louis XIV. pour arrêter ce desordre, fit une loi qui condamne à une amende de deux mille livres de sucre celui qui sera convaincu d’être le pere d’un mulâtre ;ordonne en outre, que si c’est un maître qui ait débauché son esclave, & qui en ait un enfant, la négresse & l’enfant seront confisqués au profit de l’hôpital des freres de la Charité, sans pouvoir jamais être rachetés, sous quelque prétexte que ce soit (Diderot, d’Alembert, 1751, p. 853).

Le mulâtre relance l’idée d’une origine impure en évoquant la question de la fusion entre la bête et le noir qui caractérise in fine l’esclavage. Là aussi, cela rejoint les conceptions de Henry Louis Gates qui voyait le malheur afro-américain dans la fusion entre la race et la classe.2 Le noir a été ramené à une condition plus basse que celle de l’animalité pour des raisons d’exploitation économique. Dans l’exemple américain, la couleur de peau a ainsi, pour Gates, indiqué l’appartenance à la classe sociale inférieure.

Le métissage était condamné pour ne pas déranger l’ordre social esclavagiste, il était signe de malédiction. Dans le même temps, il représente la chance d’échapper à la malédiction de la couleur, même s’il ne peut faire oublier le traumatisme initial. Vilma est le personnage qui réimagine et réenchante son métissage. « Oui, je voudrais être mon aïeule indienne pour le suivre au bûcher funéraire. La pluie de nos cendres mêlées retomberait sur le Gange » (Condé, 1989, p.185). Le malheur n’est pas posthume (post-humus au sens de Derrida) (Premat, 2011) puisque les cendres mêlées sont une promesse de renaissance. Vilma veut se ressourcer dans un temps ancestral où elle se mêle à la voix supposée ou réelle de ses ancêtres au sang indien pour réimaginer et réenchanter son lien à Francis Sancher. L’inversion de l’univers onirique est aussi traduite par la métaphore du Gange qui signifie le fait de se purifier. La retombée des cendres mêlées vient souiller cette pureté désirée du Gange. Dans le cas présent, le Gange évoque l’identité composite de l’île d’autant plus que la famille de Vilma descend des Indiens venus après l’abolition de l’esclavage.

Le style biblique singé avec des références implicites aux épisodes de malédiction est convoqué pour nous rappeler cette extraordinaire et étouffante résilience liée à un traumatisme historique et ancestral. Au fond, les ancêtres ont été déracinés et le récit allège par l’usage de ce réalisme magique ce métissage douloureux. Le style biblique se retrouve dans le pouvoir de nommer les éléments abritant ce métissage dans la voix narrative de Xantippe. Dans ce roman, Xantippe a un rôle particulier, c’est le personnage noir vivant dans les forêts et ayant un autre point de vue sur la mort de Francis Sancher. Sa posture nomadique abrite en quelque sorte le traumatisme mémoriel multiséculaire (Ette, 2003, p. 289 ; Prieto, 2003, p. 148).

J’ai nommé tous les arbres de ce pays. Je suis monté à la tête du morne, j’ai crié leur nom et ils ont répondu à mon appel. Gommier blanc. Acomat-boucan. Bois pilori. Bois rada. Bois trompette. Bois guépois. Bois d’encens. Bois pin. Bois la soie. Bois bandé. Résolu. Kaïmitier. Mahot cochon. Prune café. Mapou lélé. Arbre à lait. Malimbé (Condé, 1989, p. 241).

Le narrateur assume une énumération de toutes ces sortes d’arbre (Ette, 2003, p. 290), il est celui qui recrée un environnement et des patronymes précis. Ces branches reflètent de manière métaphorique ces ramifications possibles sur le nouveau chronotope que constitue l’île avec des colorations des bois et une appréciation dendrochronologique (Tremblay, 1999; Durand, 2002, p. 314).

Dans le chronotope de l’art littéraire a lieu la fusion des indices spatiaux et temporels en un tout intelligible et concret. Ici, le temps se condense, devient compact, visible, tandis que l’espace s’intensifie, s’engouffre dans le mouvement du temps (Bakhtine, 1978, p. 237).

Ces arbres sont colossaux et fortement enracinés (Hatzenberger, 1996, p. 67), ils renvoient à une forme de monumentalité et à une temporalité ancestrale. Le pouvoir de création ne s’arrête pas à la nomination, mais est lié à la fécondité. « J’ai nommé les ravines, sexes grands ouverts, dans le fin fond de la terre » (Condé, 1989, pp. 241–242). L’apposition de la métaphore renforce ce pouvoir de création et de fécondation des éléments. Le narrateur devient le premier géniteur, ce qui ajoute une dimension magique au récit. « J’ai nommé les roches au fond de l’eau et les poissons, gris comme les roches. En un mot, j’ai nommé ce pays. Il est sorti de mes reins dans une giclée de foutre » (Condé, 1989, pp. 241–242). L’anaphore narrative « j’ai nommé » renforce le pouvoir divin de ce créateur avec cette possibilité de distribuer les éléments, la « giclée de foutre » dépréciant ce pouvoir créateur en quasi fatalité. La connotation négative due au vocabulaire familier vient achever la cadence des anaphores narratives (Lonzi, 1970, p. 138). L’usage de l’anaphore narrative a aussi une fonction musicale dans le récit semblable à celle du jazz3 ou du blues où les personnages improvisent et reviennent au thème initial, le chorus. La mention de la « giclée de foutre » qui correspond au mot jazz, s’inscrit dans cette construction musicale du récit qui anime les différents discours rapportés des personnages. Tout se passe comme si les personnages se répondaient par des strophes rappelant le chant des esclaves. Maryse Condé mime l’entreprise de la négritude en transformant cette veillée funéraire en blues polyphone.

La mangrove désigne métonymiquement le support de ce métissage et l’horizon de cette recréation. La bâtardise montre que le stigmate généalogique est encore présent malgré tout dans cette recréation. Les analyses de Henry Louis Gates mettent en évidence cette recréation d’un langage propre à ces populations africaines déplacées et mises en esclavage. Les codes ont été inversés, le traumatisme est présent et se transmet de génération en génération, il perdure également dans le métissage (Gates, 2010, p. 9). Le traitement esthétique de la bâtardise constitue ici l’une des manières de prolonger ce qui est dénoncé par la négritude, à savoir le fait d’avoir exploité des êtres humains et de les avoir réduits à une condition inférieure à celle des animaux. En d’autres termes, la bâtardise montre la paternité non assumée dans l’héritage de ce scandale. C’est ce que révèle en tout cas le spectre de Francis Sancher qui incarne la conscience collective de la mangrove.

3) Les spectres de Francis Sancher

« Tout graphème est d’essence testamentaire » (Derrida, 1967, p. 100). La Traversée de la mangrove permet au fil des chapitres de rendre présente la figure de Francis Sancher. Il n’est plus que ce qu’en disent les personnages, le récit devient à la fois l’inscription des pensées des différentes personnes ayant côtoyé Francis Sancher et une sorte de veillée funèbre. Ce sentiment se trouve explicité grâce à un style qui réécrit les expressions courantes.

Alors, l’après-midi du quatrième jour, Francis Sancher revint chez lui, non plus campé sur ses deux pieds et dominant tous les hommes, même les plus hauts, de sa stature, mais allongé dans la prison de bois verni clair d’un cercueil dont le dessus était vitré, de telle sorte que l’on apercevait pour quelques heures encore sa belle gueule carrée (Condé, 1989, pp. 23–24)

Un peu comme dans un événement extraordinaire où les jours se succèdent, le passé simple (Nølke, Olsen, 2003, p. 85) permet de jouer sur un procès classique (les bornes de l’événement sont déterminées dans le temps) comme si cette action banale (revenir chez soi) était concrètement l’acte de Francis Sancher. La mort est nommée de manière métonymique par l’expression « prison de bois verni clair ». L’alternance passé simple / imparfait permet à la fois de jouer sur les procès (le corps de Francis Sancher est bien revenu et son cercueil vitré permet aux voix narratives d’entamer une forme de deuil ou de veillée funèbre). Tout se passe comme si l’écriture enregistrait les pensées des différentes personnes devant le corps, d’où les variations de focalisation.

Maryse Condé use de la personnification des éléments pour décrire les sentiments éveillés par la présentation du corps de Francis Sancher. « La lune ferma ses deux yeux d’or quand on retourna sur le dos, face tuméfiée à l’air, le corps pesant de Francis Sancher. Les étoiles firent de même. Aucune clarté ne filtra du ciel muet » (Condé, 1989, p. 19). Le passé simple employé ici est véritablement subjectif, le procès se référant à l’atmosphère enrobant la découverte du visage de Francis Sancher. La correspondance des sensations (hypallage entre la clarté et le silence avec l’expression « ciel muet ») est effectuée selon un passage des sensations visuelles aux sensations auditives. Il s’agit bien de sensations synesthésiques qui se donnent ensemble. Dans l’hypallage, il y a alors le transfert du silence mortuaire vers le ciel (Gaudin-Bordes, 2008, p. 15). Cette scène est éminemment polyphonique puisqu’il est fait référence à la révélation du visage de Francis Sancher et à la veillée funèbre qui commence, chacun interrogeant ses souvenirs et sa conscience. Le destin de Francis Sancher s’incarne dans l’environnement même si les éléments n’osent affronter la réalité de ce corps mort. La lune est l’élément qui fabrique l’éclairage, « la lune peureuse rouvrit les yeux et illumina chaque recoin du paysage » (Condé, 1989, p. 19). La personnification récurrente fait que la narration se fond également dans le décor et agite les différents éléments. Les éléments enveloppent le corps maudit de Francis Sancher. Ce sens de la personnification donne un sentiment profond de réalisme magique animant l’écriture de Maryse Condé. On retrouve cette marque avec la somatisation de la conscience lorsqu’un élément spirituel est associé étroitement à l’enveloppe corporelle comme dans le passage suivant: « il ne fallait pas se laisser enfiévrer l’esprit par des propos de villageois amateurs de rhum agricole » (Condé, 1989, p. 23). Le verbe « enfiévrer » met en évidence un processus de contamination, il relève d’une sensation corporelle (lorsqu’on contracte la fièvre) qui en même temps peut provoquer des hallucinations et des visions qui dans la phrase susmentionnée se réfèrent aux rumeurs et aux vapeurs d’alcool. Le transfert des vapeurs de rhums aux propos tenus sur Francis Sancher indique la manière dont Francis Sancher hante les habitants de Rivière au Sel.

Le corps mort de Francis Sancher devient prétexte à l’activation des voix narratives, il hante le récit. Tantôt Francis Sancher est présenté au discours indirect, voire le discours indirect libre, tantôt ses dialogues sont retranscrits au dialogue direct comme c’est le cas avec Mira. Ce décalage des voix est à interpréter en termes de proximité des personnages vis-à-vis de Francis Sancher. Le lecteur reconstruit au fil des voix narratives la relation de tous les personnages à Francis Sancher. « D’autres en silence se mirent à penser à Francis Sancher, suçotant leurs souvenirs comme des dents creuses » (Condé, 1989, p. 26). Le zeugme sémantique ici allie une sensation concrète et un terme abstrait, le verbe suçoter renvoyant au fait de ressasser ces souvenirs. Ce zeugme est doublé d’une hypallage puisque « creuses » fait également référence aux souvenirs. Le passé simple employé met en exergue une action inchoative qui n’a pas de borne finale dans le moment de l’énonciation. Les souvenirs sont mastiqués, rabâchés, ils sont susceptibles de disparaître. Le style de Maryse Condé dans cet ouvrage est caractérisé par un usage récurrent des hypallages, des zeugmes sémantiques, de l’anaphore narrative et de la personnification pour qualifier l’évolution des relations à Francis Sancher au sein de cette mangrove.

La mort de Francis Sancher est annoncée comme une rumeur qui se propage, le narratème suivant contenant des allusions bibliques au moment où Alix regagnait le village. Le narratème constitue ici une unité narrative spécifique à étudier en elle-même (Jameson, 1981).

Le terme « planter la nouvelle » illustre encore une fois un zeugme sémantique permettant d’enraciner la nouvelle de la mort de Francis Sancher qui, pour la plupart des personnages, était bonne. La relation entre le marcheur portant le nouveau quasi évangélique et les foules s’amassant pour parler de cette crucifixion annoncée sont implicitement des références à des événements devenus mythiques. Le collectif est désigné d’abord par « les hommes », le « village » puis « les gens » et enfin « chacun » car ce processus de diffusion de la nouvelle s’entasse dans les consciences individuelles des personnages.

Tandis qu’il marchait à grande vitesse vers la maison de ses parents, les hommes, oubliant là leur rhum agricole et leurs dés, se dépêchèrent de partir planter la nouvelle aux quatre coins du village et bientôt les gens sortirent en foule sur le pas de leur porte pour commenter là-dessus, pas saisis cependant, car chacun savait bien qu’un jour quelqu’un lui ferait son affaire, à Francis Sancher! (Condé, 1989, p. 18)

L’alternance entre passé simple et imparfait dans le passage susmentionné montre un entrelacs de procès différents. Celui qui annonce la nouvelle n’a pas fini d’arriver que la nouvelle elle-même est portée par des collectifs différents, le passé simple montre un enchaînement accéléré d’actions courtes. Le premier imparfait renvoie à un procès atélique (Patard, 2007, p. 145) indiquant un commencement et un achèvement sans indiquer quand Alix (le narrateur) s’est arrêté de marcher. La conjonction de temps « tandis que » renvoie à des séries d’actions inchoatives au fur et à mesure qu’il avance. Le dernier imparfait « chacun savait » est imperfectif puisqu’il n’est pas fait mention de l’achèvement du procès. Il y a en effet de sens dû à l’interaction entre temps verbal et classe aspectuelle. Le futur dans le passé « ferait son affaire » montre que cette nouvelle était attendue, l’imparfait imperfectif apparaissant comme une vérité. Les locutions temporelles dynamisent le procès de diffusion de la nouvelle et le discours indirect libre de la fin de la phrase met en évidence une conviction partagée. Ce destin était déjà inscrit dans les consciences des personnages de Rivière au Sel. Cette conviction s’incarne dans le récit d’Alix qui utilise le registre de la prière pour évoquer ce type de destinée.

Il y a un temps pour tout; il y a sous le ciel un moment pour chaque chose. Il y a un temps pour naître et pour mourir; un temps pour planter et un temps pour arracher ce qui a été planté; un temps pour tuer et un temps pour guérir; un temps pour gémir et un temps pour sauter de joie. Il y a un temps pour jeter des pierres et un temps pour les ramasser (Condé, 1989, p. 25).

La conscience narrative est capable de transformer ce que révèle la mort de Francis Sancher en vérité universelle grâce à l’anaphore des tournures impersonnelles. Dans cette méditation, il ne s’agit pas de faire tabula rasa de tout ce qui existe sur cette île (Derrida, 2010, p. 124) puisque la plantation figure comme cadre historique. La répétition du temps rappelle d’une certaine manière la condition humaine qui est aussi une condition noire. Cette dernière rappelle en filigrane que nous sommes condamnés à ne pas dépendre de la nécessité pour dépasser le simple fait de l’exploitation (Mbembe, 2013, pp. 6–10). La mort de Francis Sancher annonce l’incertitude de l’avenir puisqu’elle ramène tous les protagonistes du récit à cette condition. Comme le ressent une des voix narratives, Léocadie Timothée, « j’ai beau me forcer, je ne peux prétendre que j’éprouve autre chose que ce sentiment égoïste que donne la vue d’un mort: la peur de notre demain » (Condé, 1989, p. 151). L’expression « la peur de notre demain » est une expression refaite sur « la peur du lendemain « avec l’usage de l’adjectif possessif « notre » qui vient dramatiser l’angoisse collective. La mangrove devient l’espace d’une conscience cumulative qui vient synthétiser toutes les expériences des personnages sans oublier le scandale historique du transbordement.

4) La khôra de la mangrove

La mangrove est un écosystème paradoxal, à la fois protecteur et étouffant, les voix alternatives multiplient les points de vue sur l’histoire de Francis Sancher. Maryse Condé se référait évidemment à la réalité botanique où les racines des arbres sont entremêlées. Maryse Condé a justifié l’emploi du titre de l’ouvrage en raison des sonorités avant d’utiliser la portée symbolique et métaphorique (Pfaff, 1996, p. 71).

La mangrove abrite un traumatisme historique, celui de l’esclavage et d’un peuple dont la généalogie est sans cesse ramenée à cette forme de brutalisation historique. La mangrove devient elle-même l’empreinte du monde, celle qui met en relation les différentes consciences pour construire l’identité antillaise. Elle est racine impossible parce qu’elle est entrelacs de significations. Nous empruntons la notion d’entrelacs à Merleau-Ponty pour qui « la conscience du monde n’est pas fondée sur la conscience de soi, mais elles sont rigoureusement contemporaines: il y a pour moi un monde parce que je ne m’ignore pas; je suis non-dissimulé à moi-même parce que j’ai un monde » (Merleau-Ponty, 1945, p. 344). Voici une définition de cette conscience cumulative qui circule à travers les différentes voix narratives. La mangrove est un entrelacs de mondes, elle conserve l’écho du traumatisme initial et elle protège en secret l’énigme historique du transbordement. En réalité, la mangrove fonctionne comme un cadre signifiant, c’est-á-dire qu’elle est un réceptacle constituant au sens grec de khôra.

Le discours sur khôra joue donc pour la philosophie un rôle analogue à celui que joue khôra « elle-même » pour ce dont parle la philosophie, à savoir le cosmos formé ou informé d’après le paradigme. C’est dans ce cosmos qu’on puisera néanmoins les figures propres – mais nécessairement inadéquates – à décrire khôra : réceptacle, porte-empreinte, mère ou nourrice. Ces figures ne sont même pas de vraies figures (Derrida, 1993, pp. 95–96)

La mangrove est une khôra, elle n’est pas un élément intelligible, elle est écosystème sensible et principiel au point d’être une figure matricielle originaire (Hernandez, 2013), une mère-support. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elle ne peut être évoquée que par raisonnements analogues ce que Derrida nomme un « raisonnement hybride, bâtard (logismô nothô) » (Derrida, 1993, p. 17). La bâtardise qui rappelle cette non-reconnaissance de la paternité est ici réévaluée parce qu’il s’agit de penser l’identité à travers cette hybridité.

L’écriture de Condé dans Traversée de la mangrove relie ces lignées bâtardes à cet espace qui produit des figures et qui ne saurait se réduire à l’une d’entre elles. La mangrove encercle ces personnages sans totalement les enfermer, elle se lit à travers les récits et se révèle grâce à l’évocation de la destinée de Francis Sancher. On ne sait pas où la mangrove commence ni où elle s’achève, elle capte un devenir, elle accroche le transbordement des populations africaines au moment de l’esclavage pour en restituer le traumatisme. Du point de vue de la référence botanique, la mangrove est un paysage typique des climats tropicaux que l’on trouve aussi bien en Afrique, dans les Caraïbes, en Amérique du Sud que dans le Pacifique. La mangrove a une tendance naturelle à coloniser des espaces littoraux (Bertrand, 1991, p. 370), elle est cette puissance régénératrice portant des semences susceptibles de donner place à des lignées. « Germination, dissémination. Il n’y a pas de première insémination. La semence est d’abord essaimée…Chaque germe est son propre terme, a son terme, non hors de soi mais en soi comme sa limite intérieure, faisant angle avec sa propre mort » (Derrida, 1972, pp. 337–338). Cette dissémination n’efface à aucun moment la présence du traumatisme génétique qu’est le commerce de la traite.

En d’autres termes, la mangrove engendre la promesse de renaissance qui dépasse l’optique de la simple malédiction ancestrale. Elle ajoute une dimension existentielle collective profonde. Si elle s’identifie à une forme de terre-matrie paradoxale parce qu’elle est à la fois liquide et solide, elle abrite une nature tendue vers le métissage du devenir. Le motif des arbres est récurrent dans l’ouvrage et signale cette protection des origines.

Les arbres sont nos seuls amis. Depuis l’Afrique, ils soignent nos corps et nos âmes- Leur odeur est magie, vertu du grand temps reconquis. Quand j’étais petit, ma maman me couchait sous l’ombrage de leurs feuilles et le soleil jouait à cache-cache au-dessus de ma figure. Quand je suis devenu nèg-mawon, leurs troncs me barraient (Condé, 1989, p. 241).

Le présent de l’indicatif dans ce passage associe fraternellement l’arbre au voyage de ces esclaves. Il n’a aucune valeur aspectuelle car il se réfère aussi bien au passé qu’au présent de l’énonciation, ce n’est pas un déictique temporel puisqu’il peut renvoyer à plusieurs époques (Serbat, 1988, p. 35). L’arbre a une forte empreinte généalogique (Dumas, 2002) qui accompagne les destinées des personnages du roman. Cette empreinte porte la trace de ce voyage forcé et de cet arrachement initial, elle permet à ces populations métisses de réidentifier une familiarité d’odeurs et d’éléments naturels sensibles de l’Afrique. L’adverbe « Depuis » signale à la fois un écart spatial et temporel, il renvoie aussi bien au voyage depuis l’Afrique, mais il rétablit un lien, la dimension temporelle étant convoquée dans l’apposition « vertu du grand temps reconquis ». Ainsi, la phrase aurait très bien pu être écrite de la manière suivante « Depuis l’Afrique, [les arbres] continuent à soigner nos corps et nos âmes », le verbe « soignent » permet de superposer la dimension spatiale (les arbres nous suivent, ils sont replantés comme le décor de la mangrove) et la dimension temporelle (nous avons confiance en toutes les espèces d’arbres). Le détour par la traduction anglaise précise l’interprétation de ce passage puisque l’extrait a été traduit en anglais (Condé, 1995) de la manière suivante:

The trees are our only friends. They have taken care of our bodies and souls since we lived in Africa. Their fragrance is magic, a power recaptured from times long gone by. When I was little, Maman used to set me down under the shade of their leaves, and the sun would play hide-and-seek above my face. When I became a Maroon, their trunks barricaded me in (Wilson, 2000, p. 13).

La traduction de « barraient » par « barricaded » est intéressante ici, car elle évoque davantage la protection que l’étouffement. Pourtant, le malaise identitaire provient de ce stigmate généalogique, le tronc devenant la métaphore de la racine et de l’arbre généalogique. L’origine protège partiellement, elle alourdit, il y a une dimension pharmacologique au sens de Jacques Derrida, c’est-à-dire que l’arbre fonctionne comme un pharmakon, un remède (il soigne) et un poison si on y reste accolé trop longtemps. L’ambivalence du pharmakon de « constituer le milieu dans lequel s’opposent les opposés, le mouvement et le jeu qui les rapportent l’un à l’autre, les renverse et les fait passer l’un dans l’autre » (Derrida, 1972, p. 145). La mangrove fonctionne comme un cadre pharmaceutique idéal avec de multiples plantes et des bois très divers, mais qui peut devenir étouffant, d’où des références récurrentes aux images de l’emprisonnement. Le terme de « geôle » apparaît à plusieurs reprises tout au long du livre (Condé, 1989, p. 74). À propos de Mira qui avait aimé Francis Sancher, il est écrit: « Le cœur de Mira n’appartenait à personne. Il était fait de cette matière insaisissable et rebelle qui échappe à toutes les geôles » (Condé, 1989, p. 68). Certes, la métonymie est liée à l’indépendance de Mira qui s’est refusée à tous sauf à Francis Sancher, mais au-delà de ce caractère, l’écriture évoque in fine la puissance de la khôra à travers la « matière insaisissable et rebelle » qui résiste aux enfermements. On trouve à propos d’Aristide une expression intéressante avec une redondance, puisqu’il est écrit qu’il est « enfermé dans la geôle de ses pensées » (Condé, 1989, p. 71). L’écrivaine n’aurait pu n’écrire que l’expression « enfermé dans ses pensées », mais préfère utiliser la redondance pour redoubler l’impression dégagée. Le génitif est à la fois subjectif et objectif car les pensées enferment tout comme elles sont elles-mêmes prisonnières. Le possessif accentue la double impression d’enfermement alors même que les pensées sont souvent associées à une forme d’élargissement.

Dans la phrase « Quand je suis devenu nèg-mawon, leurs troncs me barraient », on passe d’un état indéfini (impossible de borner le moment où le narrateur est effectivement devenu « nèg-mawon ») vers un état inaccompli (le procès est concentré sur la borne initiale, mais la fin du procès n’est pas achevée). La conjonction de temps « quand » annonce un procès télique (Patard, 2007, p. 146) puisqu’il a fallu que ce devenir s’opère pour que le tronc commence son action (dimension inchoative). La traduction anglaise ne peut rendre compte de ce déplacement aspectuel entre le passé composé et l’imparfait de l’indicatif. Il y a une inversion du procès avec l’usage du passé composé puisque l’auteur aurait pu écrire, « Quand j’étais nèg-mawon, leurs troncs me barraient » où le procès aurait été totalement inaccompli car non borné dans le temps. Le passé composé traduit ce devenir actif, cette transformation produite qui permet au nèg-mawon (Maroon en anglais) d’utiliser la force des arbres.4 L’arbre n’est finalement pas une fixité immuable, il est en constant déplacement tout en constituant un repère. La phrase « je suis devenu nèg-mawon » signifie l’adoption d’un rituel identitaire magique avec un regard sur la nature qui enveloppe (Planchet, Gana, 2002, p. 125). Les arbres soignent les corps et les âmes et constituent une partie de l’identité des nèg-mawon. La mangrove comme khôra autorise la magie de ce paradoxe et l’écriture est ici profondément libératrice avec ce jeu des temps verbaux (Deblaine, 1992, p. 86).

Conclusion

Ces enregistrements de voix narratives transforment in fine la veillée funèbre en évocation musicale de Francis Sancher, ce « mulâtre foncé » (Condé, 1989, p. 150) qui devient par la même occasion un catalyseur identitaire. Qu’on l’aime ou le déteste, sa disparition renvoie à l’identité même de Rivière au Sel, de la Guadeloupe et de la mangrove. Il a traversé ce chronotope qu’est la mangrove et a permis de mettre en exergue le mal-être des personnages. Le style de Maryse Condé dans ce roman est extrêmement condensé dans un usage constant de la métonymie, du zeugme sémantique, de l’hypallage, de l’anaphore narrative et de la personnification. C’est ce qui permet de donner une dimension à une quête généalogique qui va au-delà des circonstances du métissage. La mangrove est une sorte de khôra, c’est-à-dire de matière-réceptacle constituant et modelant les trajectoires des personnages et des éléments naturels. Elle retient en même temps le scandale de ce transbordement historique qui a fait de cette île une prison ancestrale pour de nombreuses populations. Le style touche de manière légère une forme de malédiction, de fatum qui pèse sur les relations entre tous les personnages et qui se traduit par une bâtardise courante. Les catégories d’Henry Louis Gates utilisées en critique littéraire sont adaptées à l’analyse d’un style qui révèle les problématiques généalogiques pesant sur l’identité de la Guadeloupe. Elles sont liées aux descendants des Afro-Américains avec cette idée de singer les codes culturels dominants et de transformer cet héritage en culture vernaculaire. Avec son écriture, Maryse Condé dépasse la fixation du traumatisme initial pour évoquer ce milieu de la mangrove abritant un métissage et une bâtardise inévitables. La Traversée de la mangrove mêle des récits à fonction sociale différente, elle relie des slave narratives à des récits de békés, la couleur stigmatisant le statut social. Seules les mères pourraient adoucir la violence de ce stigmate ancestral et construire un juste milieu entre aliénation et déception identitaire. Comme le dit Dinah dans un des chapitres du roman, « Les malheurs des enfants sont toujours causés par les fautes cachées des parents » (Condé, 1989, p. 104). De ce point de vue, le métissage est une effervescence de multiplicité (Crépon, Worms, 2008, p. 174) pour dépasser les rectitudes d’un ordre social ancien inégalitaire. Si la Traversée de la mangrove a souvent été commentée comme œuvre emblématique de la créolisation, elle se rattache davantage à la négritude pour rappeler comment le destin des esclaves s’est réenraciné en Guadeloupe. Elle retrouve presqu’inconsciemment le legs de la négritude, bien au-delà de la créolité et de l’antillanité moquées (Selao, 2016, p. 74). Le corps de Francis Sancher rappelle ce scandale initial, il reflète la bâtardise des personnages condamnés à échouer dans leur quête généalogique précise. La déception provient du fait que le traumatisme initial du transbordement ne fasse pas de l’Afrique un espace maternel ni paternel (Selao, 2016, p. 76) ; l’Afrique est l’origine du scandale historique et social qui a eu lieu et que les personnages ne pourront effacer. D’une certaine manière, Maryse Condé modifie la trajectoire de la négritude pour aborder la question de l’abolition de ces catégories qui justifient l’imaginaire capitaliste de l’exploitation totale de la force des êtres humains (Selao, 2016, p. 90). La négritude avait bien pour ambition de faire éclater les formes d’aliénation pour envisager des relations plus égalitaires et apaisées entre les êtres humains. L’anaphore narrative a une fonction musicale qui permet d’installer un thème et d’avoir des développements improvisés lors de cette veillée funéraire. L’écriture de Maryse Condé se rapproche du jazz et dévoile un chant vernaculaire propre à cette condition malheureuse tout en entrevoyant les moyens de la dépasser. C’est ce qui donne à la Traversée de la mangrove un caractère rebelle irrésistiblement séduisant avec en plus un sens de l’humour inégalé.

Notes

1https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9B0585 (Site consulté pour la dernière fois le 19 juin 2019). 

2https://www.youtube.com/watch?v=bDhppWCRyuE (Accessed on 26 June 2019). Entretien d’Henry Louis Gates avec Lee Hawkins, Wall Street Journal. 

3L’écrivaine afro-américaine Toni Morrison avait rappelé dans son récit Jazz la signification de ce terme (Morrison, 2005). 

4Dans la traduction suédoise, l’expression “vertu du temps reconquis” est traduite par “en ätererövrad kraft från svunna tider” permettant d’insister sur cette notion de force du devenir (Condé, 2007, p. 240). 

Competing Interests

There are no competing interests. The article is based on a presentation made in the conference on Francophone literature at Stockholm University in November 2016 (Premat, 2016).

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