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Paul-Elie Ranson (1861-1909)
Jean Gavaudan, MD
Il est amusant de constater lorsqu'on étudie les Nabis que ce
mouvement de courte durée a vu sa vie limitée par les historiens
de l'art à une période finissant brutalement avec le
20ème siècle et l'on trouve dans certains livres sur les nabis
les dates de 1891-1899 ou 1888-1900, comme si ce mouvement ne devait pas
survivre à un autre siècle, celui de l'art nouveau, du
symbolisme et de l'expressionisme.
Le terme de nabi vient de l'hébreu Nebiim qui signifie:
prophète, illuminé ou celui qui reçoit les paroles de
l'au-delà, ou l'inspiré de Dieu comme l'a proposé le
poète Auguste Cazalis.
La démarche artistique des nabis est un retour vers des sources
sacrées. L'art tel qu'on le pratiquait au Moyen-Âge, en
réaction au matérialisme et à l'impressionnisme, mais
aussi et surtout en réaction à l'Académisme dont le
19ème siècle avait si bien su nous gaver. C'est autour de deux
personnages que prend forme le mouvement. Sérusier rencontre Gauguin
à Pont-Aven, en Bretagne, pendant l'été 1888 et leur
entente marque le début du mouvement nabi. Mais, s'ils essaient de
proposer un nouvel élan spirituel de l'art, leurs ambitions n'ont
jamais trouvé un écho comparable à leur réflexion
intellectuelle.
Car, ces peintres, ces poètes ou ces musiciens,
détachés du christianisme, se rapprochent de philosophies
orientales, d'orphisme, d'ésotérisme, de théosophie. Bref
un mélange un peu confus de personnalités qui se cherchent dans
des pays et brumes ou soleils lointains. Gauguin partira vers ces pays, les
autres resteront et peindront la lumière qu'ils ont dans les yeux
à défaut de la voir directement. Une lumière qu'ils
voudront spirituelle, annonçant le symbolisme.
Durant toute la durée de leur court mouvement, pourtant influent
à cette époque, les nabis seront marqués par la
personnalité de Gauguin. Dans tout groupe émerge un gourou. Ce
fut Gauguin, mais sans doute cette lourde responsabilité lui pesait
trop, lui qui a cherché au bout du monde le repos de son âme.
Les Nabis peignaient en utilisant de grands aplats de couleurs, sans
mélange, par le cerne, souvent sans perspective ou en la faussant. La
ligne d'horizon des paysages était souvent haute.
Intéressés par toute forme d'art, les nabis ont fait des
incursions dans d'autres domainres et marquent de leur empreinte, tapisseries,
vitraux, tissus et papiers peints, décors de théâtre,
illustrations de livres, affiches, cette démarche s'inscrivant dans une
volonté de revaloriser l'artisanat. Toujours ce désir
d'élever les objets à un rang plus 'sacré'. Lorsque les
nabis signaient dans leurs lettres: << En Ta Paume Mon Verbe Et Ma
Pensée >> comment ne pas penser à la bible où le mot
verbe désigne tout l'homme et sa pensée?
Les peintres nabis les plus influents ont été Pierre Bonnard,
Ker Xavier Roussel, Félix Vallotton, Maurice Denis et Edouard Vuillard.
Paul Ranson ou Paul-Elie Ranson fut l'un d'entre eux, pas le plus connu, mais
il est parmi les premiers à joindre le mouvement et à lui
créer un langage propre. Né à Limoges en 1864, il
étudie d'abord à l'Ecole des Arts Décoratifs avant
d'aller à Paris à l'Académie Julian en 1886 où il
y rencontre Paul Sérusier qui joue le rôle de lien dans ce
groupe, d'abord avec Gauguin puis avec Ranson et bien d'autres encore. A
l'Académie Julian, Ranson rencontre également Pierre Bonnard,
Maurice Denis avec lequel il se lie d'amitié et avec lequel il partage,
outre son attrait pour la peinture de Gauguin, une admiration pour les
peintres du Moyen-Âge.
Pourquoi Ranson est-il moins connu que les autres peintres nabis? Difficile
de répondre à cette question. Beaucoup lui ont reproché
de ne pas avoir suffisamment approfondi le sens de la démarche nabi et
d'avoir sacrifié à la forme plutôt qu'au fond. En somme,
d'avoir été plus décorateur que peintre. D'un autre
côté, certaines de ses peintures laissent songeur, comme Le
Paysage Nabique (1890) ou Christ et Bouddha (1890). On le classe alors dans la
catégorie des peintres mystérieux, indéchiffrables. Il
restera au fond un peintre inégal. Peut-être n'est-il pas
allé jusqu'au bout de la recherche ésotérique qui
amènera le symbolisme, mais en avait-il les moyens? Ses
fréquentations en dehors de la peinture le feraient presque classer
comme symboliste. Il partageait pourtant avec les nabis cette vision
désenchantée du monde 'moderne' de ce siècle en
transition. Un siècle qui, pour beaucoup, apportait le progrès,
mais qui, aux yeux des autres, était aussi la fin d'un monde. Comment
alors ne pas penser à A. Schnitzler ou S. Zweig quand Paul Natanson,
Directeur de la Revue Blanche, écrit, sur le doute et
l'inquiétude et dit à propos de Ranson: "Paul Ranson aussi
était gai mais c'était d'une de ces gaietés qui ont bien,
parfois, l'air d'un rideau tiré sur la mélancolie et paraissent
délibérées".
Les peintres nabis se dispersent en 1900, leur mouvement s'éteint.
Ranson fait une dernière tentative en créant en 1908 avec sa
femme, Marie-France, l'Académie Ranson, mais il meurt l'année
suivant en février 1909 à Paris.
Avec Ranson, le nabi plus japonard que le nabi japonard, disparaissait
définitivement le mouvement nabi.
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