Hodler est actuellement considéré comme l'un des plus grands
artistes européens et pourtant l'un des plus
méconnus.
Né à Berne en 1853, il migrera à la fin de son
apprentissage à Genève où il finira sa vie.
Peintre suisse, il est européen dans l'âme.
Influencé par de nombreux courants et peintres de son époque,
Hodler a longtemps cherché sa voie.
On retrouve dans ses tableaux le coup de pinceau des impressionnistes, mais
ses autoportraits doivent autant à Courbet qu'à Velasquez. On le
croit impressionniste, le voilà symboliste. Homme mystérieux qui
joue avec la vie et la mort sur ses toiles. On le classe symboliste, il
devient expressionniste et se rapproche d'un Mondrian au début de sa
vie.
En définitive, un peintre difficile à définir, mais
qui laisse une empreinte profonde sur le spectateur. En cela, il est
expressionniste, même lorsqu'il peint comme un symboliste.
Actuellement se déroule au Musée d'Orsay, à Paris, une
exposition sur l'oeuvre de ce peintre étrange.
Il est conseillé à tout amoureux de la peinture de s'y rendre
et de réfléchir avec Hodler sur le sens qu'il veut donner
à la vie.
Il peint la vie, il lui faut un contrepoids. Il peint donc la mort qui
devient obsessive, monte en lui, l'envahit. Il lui faut l'évacuer. Il
la couche sur la toile. Elle frappe le spectateur qui devient attentif et
réfléchit sur le sens profond de ce qui l'entoure. Une toile
d'araignée se tisse et nous attire inexorablement vers ce monde sombre
et solennel.
Les personnages de Ferdinand Hodler sont des âmes grises,
introverties. Nous interrogent-elles en nous fixant qu'elles détournent
aussitôt le regard. Ils défilent devant nous comme ces
pèlerins, la corde au cou.
Le front plissé, le regard angoissé, les lèvres minces
et serrées, ils sont figés et attendent. Tous ces signes sont
ceux d'une dépression.
L'époque n'est pas une époque gaie.
En 1914, les allemands bombardent la cathédrale de Reims, Hodler
proteste contre ce crime de lèse-culture. Il est exclu des peintres
« allemands ».
Né au cours d'un siècle qui a connu les plus grands
développements de la science et de l'intelligence de l'homme, il
assiste impuissant au déchaînement de la bêtise de
celui-ci.
Son symbolisme sera l'expression de sa réprobation et de sa
réflexion. En cela, il devient expressionniste. Devons-nous ressentir
ce que ce peintre a mis derrière ses personnages et ses couleurs ou
allons-nous regarder passivement comme face à un tableau pompier?
L'époque est trop étriquée. Les robes sont longues, la
société vit comme une jeune fille trop prude qui se
confronterait à une réalité trop dure.
On vit dans des cercles fermés, mais les pensées sont
déjà dans le monde du futur.
Seule la bourgeoisie peut s'effrayer des tableaux de Hodler. En France, on
le juge par trop expressionniste. Il ne plaira pas.
Il faut dire que l'on sort à peine de digérer
l'impressionnisme que l'on nous offre Cézanne et ses
déstructurations. Comment le bon peuple peut se retrouver dans ces
courants de peintres qui, décidément, voient le monde à
l'envers.
En 1914, le monde est à l'envers, c'est ce que ne veulent pas
comprendre nos chers aïeux.
C'était au temps....
Hodler, lui, voit tel le monde qu'il est, mais tel qu'il est, ce monde lui
fait mal. Il idéalise.
La nature est belle, sa Suisse lui plaît.
Il la peint en la transformant, il la prépare pour
l'éternité. Les montagnes rejoignent les lacs, les nuages sont
ces « nuées défilantes » qui marquent le courant de
nos jours. Hodler peint le royaume éternel.
Hodler vivra ses dernières années dans la tristesse. La
« der des der » n'en finit plus. Sa maîtresse, Valentine
Godé-Darel meurt en 1915, il est malade.
Il s'éteint à Genève en 1918 à l'âge de
65 ans en face du lac.
Hodler est un peintre à ne pas mettre devant tous les regards.
Âmes sensibles, s'abstenir.
Pour ceux que la beauté intérieure séduit et qui
cherche dans le regard de l'autre le monde qui s'y déploie, Hodler est
à voir et revoir. Il percute la pensée.