Nous avons choisi pour ce numéro un tableau du XIXème
siècle de Rossetti Dante Gabriel (1828-1882) représentant
Hélène de Troie.
La Belle Hélène, dont on connaît l'histoire, avait
transformé en brasier Troie et ses richesses, allumé le
cœur de plusieurs hommes et perdu des milliers de guerriers. Elle est
indirectement à l'origine de la mort de Hector, Achille, Ajax et de
bien d'autres encore, et si Ulysse a parcouru la méditerranée
pendant des années, il le doit aussi bien à Hélène
qu'à son pauvre talent de navigateur.
Hélène était le symbole de la beauté antique
grecque. Une beauté un peu froide, telle que nous l'ont rendue les
statues que nous admirons dans les musées, mais une beauté qui a
touché les cœurs.
Dans ce tableau, elle est représentée suivant les canons
stricts de la beauté antique revus selon le romantisme du 19ème
siècle. Les cheveux sont d'or, le nez est rectiligne et la bouche
sensuelle. Elle n'est en fait que la représentation d'Elisabeth Siddal,
épouse de Dante Gabriel Rossetti, morte d'une overdose de laudanum
après l'accouchement d'un mort-né et que le peintre
représentera de multiples fois dans des sujets différents.
Hélène fut enlevée à Ménélas, son
mari, dont on sait qu'il était certes téméraire, mais
aussi grossier, comme pouvait l'être un guerrier grec de cette
époque. Ménélas aimait la fête, le vin, les femmes
et le côté sensuel de la beauté lui convenait plus que la
beauté intérieure et les yeux mélancoliques de sa femme.
Il ne comprit surtout pas que la beauté de sa femme reflétait le
droit divin. Au travers d'Hélène, les Dieux jouaient et dans ce
jeu, l'homme de l'Antiquité perdait toujours. Éloigné et
trompé par une ruse, Mélénas vit son honneur
bafoué, il demanda vengeance.
Nous connaissons la suite et Troie fut détruite.
Cette beauté fut donc fatale.
Quant à Hélène, fut-elle une victime plus ou moins
consentante de l'amour de Paris ou une épouse enlevée par un
amant passionné? Paris fut-il maître de son choix? Fut-il
ensorcelé par la beauté d'Hélène ou les dieux
décidèrent-ils à sa place. Quoiqu'il en soit, Paris fixa
pour son malheur, et celui de son peuple, son regard sur les cheveux
d'Hélène.
Ce mythe d'Hélène nous rappelle que la beauté a
longtemps été considérée comme l'apanage de la
femme, par opposition à l'homme, séducteur violent et
prédateur constant. Beauté destinée avant tout à
régner sur le monde, synonyme de perfection, elle fut l'Eden et resta
la beauté tandis que l'homme s'enfuyait courbé
déjà, destiné à vieillir, se faner, se rider et
périr.
Beauté inégale, mais beauté quand même, à
travers les âges et les civilisations. Fut-elle blonde et pâle,
comme Mlle de La Vallière, ou brune et sensuelle comme Mlle de La
Fayette ou encore noire, sombre et profonde, la beauté fut changeante
au gré des hommes et des civilisations. Avec Pierre Loti, elle
était noire, lui qui la décrivit ainsi: « ses cils
étaient si longs, si noirs qu'on les eût pris pour des plumes
peintes. Son nez était court et fin, comme celui de certaines figures
arabes; sa bouche, un peu plus épaisse, un peu plus fendue que le type
classique, avait des coins profonds d'un contour délicieux. »
À chaque regard sa beauté!
Le temps l'a faite évoluer, claire à l'abri du soleil comme
au XIXème siècle, elle est cuivrée, bronzée
à la fin du XXème. Elle est un ensemble qui ne s'analyse pas
partiellement. « Toute beauté remarquable a quelque bizarrerie
dans ses proportions » disait Francis Bacon qui trouvait un écho
en Charles Baudelaire: « Le beau est toujours bizarre ».
La beauté est-elle avec Stendhal « la promesse du bonheur
»? Atteinte ou approche du paradis?
Aujourd'hui, elle est un reflet du bien-être, synonyme de vie et de
plénitude.
Par son enveloppe extérieure, la peau, elle se veut le reflet de
l'âme, le médiateur d'une communication sociale monochrome et le
miroir dans lequel se reflète notre société.
Son atteinte est une faille profonde dans notre intégrité. Du
physique dépend le moral. Le préjudice esthétique devient
un handicap et le rêve d'un idéal devient un cauchemar.
Alors nous cachons nos défauts, nous maquillons nos failles et nous
rejetons la vieillesse. La recherche de l'esthétisme est aujourd'hui
une des grandes priorités de nos sociétés. De la boue
savamment appliquée des sociétés africaines au maquillage
revitalisant des sociétés occidentales, la démarche est
la même. Nous essay-ons de paraître avant d'être. C'est
pourtant par l'extérieur, la peau, que notre être s'exprime
souvent et rien n'est plus proche de la médecine de l'intérieur
que la dermatologie. C'est souvent par la peau que notre souffrance psychique
et physique s'exprime et combien de fois le regard du médecin est-il
attiré par l'aspect extérieur de son patient avant même de
savoir quel trouble intérieur le tourmente.
La beauté est bien le reflet d'un équilibre
général. La peau participe en tant qu'organe le plus
étendu du corps humain au fonctionnement du corps et
révèle souvent les fonctions et dysfonctions de notre
organisme.
Hélène fut-elle souffrante? Ses belles mains aux larges
veines trahissaient-elles ses peines? Ses pommettes roses étaient-elles
le signe d'un problème de coeur?
Nous ne pourrons aujourd'hui répondre avec certitude, mais gardons
présent à l'esprit que « c'est par le beau que toute
intelligence saine se sent émue et transportée vers le ciel
» (Michel-Ange, Sonnets) et faisons en sorte de réconcilier
l'être et le paraître.