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  Vol. 299 No. 16, 23/30 avril 2008 TABLE OF CONTENTS
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La chasse au tigre


Figure 1
Eugène Delacroix (1798-1863), La chasse au tigre (1854), français © Musée d’Orsay, Paris

Que n’a-t-on pas écrit sur Eugène Delacroix ?

Peintre du mouvement et de la couleur, ce romantique à la vie passionnante est une figure majeure de la peinture française.

De formation néoclassique, il apprend son métier chez Guérin qui, selon Delacroix, ne s’est jamais réellement intéressé à lui. Delacroix sera pour les uns le chef de file du romantisme, notamment à la mort de Géricault en 1824, pour les autres un peintre inclassable, n’appartenant à aucune école. Génie solitaire, à la silhouette longiligne, racée et distinguée.

Né le 26 avril 1798 à Charenton-Saint Maurice dans une famille nombreuse et aisée (son père fut préfet de la Gironde), il perd très tôt ses parents. Son séjour bordelais lui laisse néanmoins un profond attachement à cette région où repose son père. Son enfance est marquée par un nombre incalculable d’incidents et d’accidents dont il sort chaque fois indemne, à croire qu’un bon génie s’est attaché à ses pas. Peut-être est-ce ce bon génie qui le mènera en Afrique du Nord dont il laisse un témoignage personnel précis, coloré et merveilleux.

Autant son contemporain, Jean-Auguste-Dominique Ingres sera le défenseur du dessin et de la ligne pure, autant Delacroix sera l’expression du volume et de la vie. Il aime le tumulte, l’enchevêtrement, les traits qui se superposent en abondance. Chez lui, tout vibre. La couleur est animée d’une fréquence et le trait flou devient mouvement. Cet ensemble éclate d’harmonie et rejoint la musique. Il avait d’ailleurs appris le violon dans sa jeunesse par admiration pour cet autre génie, Mozart, décédé peu de temps avant sa naissance. Passionné de la nature, Delacroix fait plus que la restituer en peinture, il la réfléchit avec amour et ce sentiment s’exprime par la vie qu’il y met, par ces couleurs vives et ces couches épaisses et sensuelles.

Peu importe qu’Ingres lui ait dénié le moindre talent de peintre, ce qui compte pour Eugène, ce n’est pas le génie "si nous en avons, heureux si nous l’ignorons jusqu’au moment où l’envie viendra de le révéler", c’est de rendre la nature avec ce qu’elle peut lui donner de plus généreux.

Dès 1822-23, Delacroix, comme son aîné, Géricault, est de plus en plus attiré par les chevaux. Il les étudie en mouvement, morts, explore leur anatomie, essaie de comprendre leur physiologie, leurs mouvements et écrit dans son journal à la date du 15 avril 1823 : "Aller dans une écurie tous les matins".

Mais, la vie tourne et Delacroix, éternel voyageur, parcourt l’Europe, la France, peint, dessine et observe. Rarement un homme n’aura été un observateur si attentif de son époque et de ses contemporains. Rarement, un peintre n’aura eu un esprit autant tourné vers l’autre, à commencer par les autres grands peintres de son époque. Delacroix ne jalouse pas, il admire le beau et ne se prive pas de le dire. Géricault, Bonnington, Constable, autant de noms de grands peintres qui le marqueront et l’influenceront.

En 1832, il est contacté pour accompagner au Maroc, l’ambassadeur de France, Charles de Mornay. Le voyage se fait en longeant les côtes espagnoles avant d’accoster à Tanger. L’Afrique du Nord est pour lui un éblouissement. C’est le royaume des couleurs et des scènes qui le feront classer orientaliste. Orientaliste peut-être, mais surtout un romantique en Orient. De-là naîtront des scènes violentes et tumultueuses comme "les chevaux se battant dans une écurie" qu’il ne peindra qu’en 1860, ou comme "la chasse au tigre" peint en 1854 et que nous présentons en couverture. De ce tableau que dire, sinon que tout ou presque est faux dans cette mise en scène. On pourra objecter que ces chevaux à la tête fine et au chanfrein concave des arabes mais à l’arrière-main des percherons sont la fascination d’un peintre pour l’excès, l’orage et l’opulence. Faux certes, mais beau. Ce beau "si difficile à rencontrer, est plus encore difficile à fixer". Dans ces différents tableaux de chasse, Delacroix mettra presque toujours en scène des chevaux dans des situations torturées. Dans le tableau "La chasse au tigre", Delacroix fait exploser les couleurs. La scène : un cheval surpris par un tigre qui s’enlace entre ses antérieurs de façon violente et sensuelle. Un cavalier qui semble dominer la situation et dont on admire la monte, un tigre en Afrique ! Un cheval dans une posture pour le moins surprenante ! Pourquoi pas ? Si Delacroix l’a imaginé, il l’a vu. Ce qui est important dans ce tableau, ce sont avant tout ces couleurs pénétrant "jusqu’à l’âme par le canal des yeux" et "ces accords de couleurs qui font souvent rêver d’harmonie et de mélodie" (Charles Baudelaire). Le drame est bien alors que Muybridge ait plus tard dans ce siècle décomposé le mouvement du cheval au galop. La peinture des chevaux est alors passée de l’expression spontanée de l’amour du peintre pour la vie à l’expression de phases anatomiques isolées et rigides du galop. On avait oublié le flou du mouvement et l’enchevêtrement des couleurs d’Eugène Delacroix qui donnaient l’illusion de la réalité. Cette réalité idéalisée qui s’est au mieux exprimée chez lui. On a dit de Delacroix qu’il avait un soleil dans la tête et des orages dans le cœur. Il a peint comme nul autre avant lui et nul autre après lui. Paul Huet, vieil et cher ami de Delacroix, lors de son inhumation en 1863 au cimetière du Père Lachaise dira : "il sera toujours avec nous, il vivra plus que jamais dans ses œuvres, cet homme qui, du premier coup, a frappé le sol de son empreinte et assuré sa gloire par une personnalité si tranchée et si vigoureuse".

Jean Gavaudan, MD







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