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  Vol. 299 No. 20, 28 mai 2008 TABLE OF CONTENTS
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Le bouffon au luth


Figure 1
Franz Hals, Le Joueur de Luth, vers 1623, hollandais ©Musée du Louvre, Paris

Frans Hals est né vers 1581/1585 à Haarlem dans la libre Hollande et y est mort en 1666 après une vie de précarité et de difficultés communes à de nombreux peintres de cette époque. Ses parents protestants quittent le sud des Pays-Bas pour des raisons religieuses et s'installent à Haarlem, ville prospère de la Hollande libre. Contemporain de Rubens, sa date de naissance est imprécise et les renseignements sur sa vie incomplets. On sait avec certitude que F. Hals est chroniquement endetté. Mais, ceci est une chose courante à cette époque, en particulier chez les peintres dont les tableaux se vendent à des prix relativement bas et qui doivent assurer le coût de l’achat des couleurs, des huiles et médium de mixage, des toiles... et d’un toit pour vivre.

Comment, Franz Hals, le peintre du rire et de la joie de vivre, a-t-il pu mener une existence aussi précaire? Ses œuvres l’expliquent peut-être. Les peintres au 17ème siècle ne peignent généralement qu'en étant commandités, souvent par un petit groupe de personnes pour des portraits de sociétés ou de groupes, par de riches familles ou la noblesse pour des portraits individuels. Ils ne vivent que par l'effet de mode qu'ils génèrent et peuvent d'un jour à l'autre connaître la misère à la fin de leur période de faveur.

Bien qu'ayant vécu jusqu'à un âge avancé pour cette époque (presque 80 ans), nous savons peu de choses de Frans Hals, suffisamment cependant pour être sûr qu'il connût la faim et l'endettement et ne put survivre que grâce à une pension octroyée dans ses vieux jours par le conseil de la ville, conseil dont il avait peint le bureau des gouverneurs (le St Jorisdoelen ou la Compagnie de Saint Georges, peint au début de sa carrière).

S'éloignant des portraits figés et compassés de son époque, Hals comprend très vite la façon de retranscrire la joie de vivre des nombreux banquets où l'on convie un peintre pour immortaliser la scène. Il introduit la vie dans ses compositions avec des personnages souriants ou riants, se regardant, dégageant la bienveillance ou la dignité. Ce ne sont plus des figures hiératiques immobiles et froides. Hals introduit le dynamisme et le rythme par le style de sa peinture faite de coups rapides de pinceaux et de positions inhabituelles (utilisant au mieux les diagonales).

C'est dans sa série de portraits individuels qui l'on fait classer comme seul portraitiste qu'il s'exprime le mieux. Cette série, ensemble de portraits dans lesquels, féru de la physionomie humaine, il reproduit les différentes émotions qui sous-tendent l'expression, ne lui rapporte malheureusement pas suffisamment pour nourrir sa famille. Ce sont pourtant ces portraits que l'on retient aujourd'hui de lui.

Ces sujets populaires sont des instantanés de la vie de cette époque. L'approche de F. Hals est celle de la fugacité. L'attitude, le regard et le sourire de ses personnages sont toujours instables. Il substitue aux figures austères et compassées de ses prédécesseurs, l'animation et le dynamisme, la vie s'installe dans ces scènes populaires. Passionné par les expressions, F. Hals nous laisse une série importante de portraits sur le thème du rire (comme la bohémienne, l'enfant à la bulle de savon, le jeune garçon riant, le fumeur tenant un pot ou le bouffon au luth en autres).

Le « bouffon au luth » appartient à cette série de portraits peints à la manière du Caravage, mais si différent de ce dernier. Dans le tableau du Caravage présenté ci-après, et maintenant au Musée de l’Ermitage à Saint Petersbourg, le joueur est immobile, les contrastes entre l’ombre et la lumière sont violents et l’ensemble prend presque un aspect mystique. L’immobilité est renforcée par la position du joueur qui regarde le peintre la tête alignée avec les épaules et la main posée sur les cordes, ou reposant sur les cordes comme une main immobile et figée. Malgré la très grande beauté du tableau, on ne peut s’empêcher de n’y voir qu’une pose d’un sujet pour son artiste.


Figure 2

Dans le tableau de Franz Hals, peint vers 1623, on retient à la fois le thème du rire et celui de la musique.

Le rire est ici au mieux exprimé par ce joueur qui tourne la tête et dont le mouvement est traduit par la cassure entre la ligne des épaules et la direction de la tête, à l’inverse du Caravage. Hals peint également sans dessin, directement sur la toile, même s’il utilise comme ses contemporains plusieurs couches de peinture. Les doigts du musicien sont courbés, pinçant les cordes et la main vit contrairement à celle du Caravage qui est immobile. L’instant est saisi par Hals, le musicien est croqué sur le fait. La joie qu’il exprime et celle qui l’environne probablement transparaissent dans l’œuvre du Hollandais.

Le deuxième thème, la musique, thème courant dans la peinture, sera le centre de nombreux tableaux à connotation mythologique.

Allant souvent de pair avec la poésie, elle rappelle dans les différents tableaux qui lui sont consacrés que, fille des Muses, elle est le plaisir des Dieux antiques. Volée par les hommes, comme le feu par Prométhée, elle permet par son expression d'approcher des moments divins. Primitivement limitée à la simple manifestation d'un son unique ou d'une variation de sons sur une corde unique (on ne peut égaler les Dieux au premier essai !), l'instrumentation n'est restée longtemps que l'accompagnatrice du chant, mais, c'est parce qu'elle a accompagné le chant polyphonique que l'instrumentation s'est développée, que sa technique a évolué et que la musique a fini par devenir symphonique. Largement répandue au 16ème siècle, il n'était pas rare de trouver plusieurs instruments de musique au sein d'une même famille. On trouvait ainsi chez un chanoine de Cambrai, harpe, luth, guiterne, rebec, violes et un psaltérion ! Alors que la musique instrumentale était des plus modestes au début du 15ème siècle, l'impression en 1507 d'ouvrages destinés au luth, avec une extension plus tardive au clavier, allait permettre la diffusion de pièces jusque là plus improvisées que notées. La musique est dans la société de cette époque source de joie et de plaisirs, ce qui s'exprime au mieux sur le visage du bouffon. Le visage s'ouvre d'un large sourire, les yeux sont pétillants, le personnage rayonne. Vêtu de couleurs vives, rendues merveilleusement par les traits rapides du pinceau de Hals, le joueur de luth s'anime sur un fond qui, loin d'être neutre, fait jouer la lumière.

En 1620, la musique est populaire. Elle est le thème de nombreux tableaux qui illustrent des scènes que l'on retrouve également chez Simon Vouet, autre peintre à la manière du Caravage. Ce sont des instantanés de vie où la société s'assemble, boit, déclame, chante et rit.

Hals a su fixer son personnage comme un instantané photographique. L'instant qui passe est ce qui l’intéresse, car, derrière cet instant qui passe, peuvent se cacher les émotions qu'il retranscrit rapidement sur sa toile.

Il n'est donc pas interdit de comparer et de distinguer à ce propos la photographie numérique et la photographie argentique. Aurait-on eu les instantanés des grands photographes de ces dernières années si, comme on le voit souvent avec tous les amateurs de la photo numérique, on avait effacé, gommé de la "mémoire" les images et refait le monde à volonté. Frans Hals était la photo argentique, Vermeer la photo numérique. Chez ce dernier, on lit certes, par les scènes d'intérieur, l'histoire de son époque, le sujet est parfaitement maîtrisé et on y mesure la patience du peintre, mais manque la spontanéité de Franz Hals. Hals ne demande pas à son modèle de rester immobile et de prendre une pose, il le saisit avec force en nous laissant croire que le virtuose qu'il est s'amuse en peignant des impromptus. Hals peint avec un effort très réfléchi une scène détaillée. Rien n'est plus éloigné de lui que la négligence et la désinvolture dans la peinture. Dans le tableau du bouffon au luth, la rose du luth est délicatement travaillée. Son personnage est saisi dans une diagonale qui accentue le côté dynamique de la scène. En définitive, Hais donne une impression de parfait équilibre sans paraître faire le moindre effort et suivre des règles bien définies. Il s'inscrit alors pleinement dans la lignée des génies hollandais de son siècle.

Jean Gavaudan, MD







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