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  Vol. 299 No. 21, 4 juin 2008 TABLE OF CONTENTS
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Vue du pont Anitchkov


Figure 1
Vassili Semenovich Sadovnikov, Vue du pont Anitchkov, russe © Musée de l’Ermitage, St Petersbourg

Saint-Pétersbourg, ville des Tsars depuis Pierre 1er, dit Pierre le Grand, a moins de 100 ans lorsque Vassili Semenovich Sadovnikov naît en 1800 dans la ramille d'un serf de la Princesse Golitsina. Etonnante destinée que celle de ce peintre né serf et commissionné par les Tsars pour peindre leur ville !

La condition des serfs en Russie à cette époque n'est plus celle des serfs sous Pierre 1er, mais ils sont encore durement traités, en particulier dans les campagnes.

Comment Sadovnikov a-t-il pu réussir à sortir de cette condition terrible, le servage. Replongeons-nous dans la situation de l'Europe avant la révolution française. Empires, royaumes et autres principautés et domaines plus mineurs sont encore régis par la loi féodale où monarques et nobles imposent leur puissance aux plus faibles selon leur rang.

Le citoyen n'existe encore pas! Nous sommes pourtant à la fin du XVIIIe siècle. Le siècle des lumières. Mais dans une grande partie de l’Europe, la population se compose avant tout de sujets, au sens premier du terme (du latin subjectio, c'est-à-dire la situation d'une personne dépendant d'une autorité souveraine, ce qui revient à l'assujettir, à le priver de liberté, aujourd’hui on est assujetti à l'impôt....).

A la fin de ce siècle (entre 1760 et 1792), juste avant que les troupes nées de la révolution française n'envahissent l'Europe sous la direction d'un autre despote, le souverain dispose de son sujet selon son bon vouloir. Si celui-ci détient, par la grâce de son seigneur un poste officiel, ses déplacements sont soumis aux caprices du maître qui peut ou non à volonté jouer avec son sujet (Joseph Haydn a dû attendre le décès du prince Esterhazy pour pouvoir enfin s'installer en Angleterre). S'il n'a pas de poste officiel, il est commerçant, souvent méprisé, ou paysan, libre ou non, travaillant et vivant dans des conditions terribles.

La situation de ce qu'on a appelé le tiers-état n'est donc pas enviable.

Nous ne sommes ni dans la Chine féodale, ni sur la côte Est de l’Afrique où règnent les sultans esclavagistes, nous ne sommes pas en Afrique de l’Ouest où le commerce de « l’ébène » est en place depuis des siècles.

Nous sommes à l'époque de Goethe, Mozart, Haydn, Voltaire et autres grands esprits éclairés de ce siècle. Les francs-maçons sont déjà structurés en loges, les noces de Figaro ont annoncé la révolution et le monde attend avec impatience d'évoluer vers la liberté !

Revenons maintenant en Russie. Que sont les serfs russes ! Rien et pourtant tout pour paraphraser l'abbé Sieyès. Ils ne demandent pas encore à devenir quelque chose! Trop soumis, inorganisés, dépendants, ils vivent pour et grâce à leurs maîtres.

De droits, ils n'en ont aucun. Il est possible de démembrer les familles lors de leur vente, ils ne peuvent posséder de biens meubles, les redevances et châtiments sont appliqués au gré des maîtres !

On est loin des idées libertaires et éclairées de l'Europe des lumières. Le mouvement allemand de l'Aufklärung n'a visiblement pas atteint la Russie, encore moins la révolution française !

N'est-ce cependant pas une prussienne, Sophie d'Anhalt-Zerbst, qui déclare à cette époque dans son cahier intime: "II est contre la religion chrétienne et la justice de faire des esclaves d'hommes qui apportent toute la liberté en naissant... Liberté, âme de toutes choses, sans vous, tout est mort! Je veux qu'on obéisse aux lois, mais point d'esclaves !..."

Grande Duchesse, Sophie devient Catherine en épousant Pierre III et la Grande Catherine en le faisant déposer de son trône. C'est pourtant la même qui, en 1765 confère aux nobles le droit d'envoyer leurs esclaves aux travaux forcés, qui, en 1767, enlève aux serfs le droit de porter plainte contre leurs maîtres, même en cas d'usage abusif du knout dont on dit qu'il pénétrait les chairs jusqu'aux os. Entre les grands sentiments et la politique, il y a toujours eu un fossé que les années n'ont d'ailleurs pas comblé.

Catherine II finit par abandonner les serfs à leur sort, surtout après la révolte menée par Pougatchef qui l'indisposera et qu'elle punira par la décapitation de ce dernier (clémence d'une Tsarine qui fit arracher les narines de ses complices !).

Dans ce contexte, on peut s'émerveiller qu'un serf, libéré d'ailleurs seulement en 1838, ait pu dessiner et peindre Saint-Pétersbourg, illustration parfaite du despotisme et de la folie des grandeurs d'un Tsar, accablant d'impôts son pays au nom de la grandeur et de la destinée de sa ville et de la sienne.

Sadovnikov, le serf, est pourtant un peintre déjà connu lorsque la princesse Golitsina disparaît. Jeune artiste, il a étudié dans le studio du célèbre architecte A. Voronikhin (qui aménagera la rive gauche de la Neva et construira des cathédrales) et entrer en contact avec d'autres peintres tels que Maxim Vorobiov et Alexei Venetsionov. Sa chance fut-elle d'avoir une maîtresse " éclairée " qui lui permit d'acquérir de l'expérience ou de rencontrer ces peintres qui prirent une part active dans sa libération? Nul ne le saura jamais. Mais, à 38 ans, le voilà libre, commissionné par les Tsars et autres familles nobles ou riches dont il va peindre les villes. Saint-Pétersbourg, mais aussi Moscou qu'il peint avec beaucoup de finesse, de détails, de vie et de romantisme.

Entre 1830 et 1850, ses tableaux illustrent les extérieurs, mais aussi les intérieurs des palais, nous laissant un témoignage fidèle de la vie de cette époque. Sa grande œuvre sera la vue panoramique de la perspective Nevski, un tableau de 16 mètres, gigantesque, dont certaines parties seront reproduites pour en faire des esquisses plus abordables.

C'est cependant Saint-Pétersbourg, sa ville natale, qui le passionne le plus. Il la fait vivre avec des scènes animées comme ce pont que prolonge la perspective Nevski qu'il rend merveilleusement.

La "Vue du pont Anitchkov" appartient à une série de quatre-vingt aquarelles de Vassili Sadovnikov. Le lieutenant-colonel Anitchkov fut le maître d'œuvre du premier pont enjambant la Fontanka en 1715, affluent de la Neva qui se jette dans la mer Baltique. Les quatre chevaux de bronze sont de Klodt et le pont débouche à gauche sur le palais Anitchkov, résidence favorite du Tsar Nicolas 1er. On retrouve derrière la tour de la Douma (assemblée des boyards qui avait été remplacée par un Sénat par Pierre 1er), et la flèche de l'Amirauté. Ce pont sera construit et reconstruit pendant plus de 110 ans, mais son aspect actuel est celui que montre le tableau de Vassili Sadovnikov.

Celui-ci devait décéder en 1879 à Saint-Pétersbourg. Le servage avait été aboli en Russie en 1861. Savait-il alors que cette ville merveilleuse aux riches musées et aux palais somptueux avait coûté pour la bâtir la vie à 150 000 personnes?

Pierre le Grand connu également comme "Antéchrist" fut-il celui que Maïakovski a appelé: "le prisonnier, enchaîné dans sa propre ville" ou cet homme d'action a "l'esprit plein de hautes pensées" (Pouchkine)?

On peut ne pas vouloir répondre. Le souvenir de ces temps heureusement révolus vit au travers des tableaux de Sadovnikov. Ce dernier est aujourd'hui au Musée de l'Ermitage, ancien palais des Tsars. Juste revanche pour le serf Sadovnikov.

Jean Gavaudan, MD







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