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  Vol. 299 No. 22, 11 juin 2008 TABLE OF CONTENTS
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La diseuse de bonne aventure


Figure 1
Nicolas Régnier (1591-1667), La Diseuse de Bonne Aventure, vers 1626, Français, 1,27 m sur 1,5 m © Musée du Louvre

Nicolas Régnier, peintre français, né à Maubeuge vers 1591, est mort à Venise le 19 novembre 1667 sous le nom de Niccolo Renieri, âgé de 76 ans, ce qui, pour cette époque, était un grand âge. Sa date de naissance n'est cependant pas connue avec certitude, certains faisant de Nicolas Régnier un peintre du XVIIe siècle. Mais son parcours italien l'ayant conduit à Rome, où il fut l'élève de Manfredi (mort en 1606), une naissance plus tardive en aurait fait un élève fort précoce. Ce lien à Manfredi n'efface pas le doute qui persiste sur sa date de naissance, car Nicolas Régnier aurait d'abord été à Anvers l'élève d'Abraham Janssens (encore une fois à un âge fort précoce) qui l'aurait initié à la technique du Caravage.

Ce dernier peintre allait influencer sa vie, non seulement la sienne, mais aussi toute la peinture européenne des premières années du XVIIe siècle.

La date de sa mort est plus certaine. Après un long (?) séjour romain, qui lui fit fréquenter le cercle du Marquis Giustiniani, on retrouve Régnier à Venise. Durant son séjour italien, Régnier peint des portraits, dont celui de l'Amiral L. Mocenigo que l'on retrouve aujourd'hui à Munich, amiral qui mourut en 1657, attestant ainsi involontairement de la présence de N. Régnier en Italie à cette époque. En 1626, Régnier, qui avait italianisé son nom, part pour Venise où il travaille dans la première partie du XVIIe siècle et acquiert une certaine réputation comme portraitiste.

Régnier, et sous toutes réserves, acquit probablement le côté caravagesque de sa technique picturale auprès d'Abraham Janssens, au point que certaines de ses œuvres précoces ont pu être attribuées au Caravage, éloge indéniable à la technique et au savoir faire de N. Régnier. Sans être copiste, il peignait de façon remarquable "à la manière de".

La technique pratiquée ici est ce que l'on appelle "la manière sombre", technique introduite en France par Simon Vouët que N. Régnier dut connaître à Rome. Cette technique allait être importée en France par Simon Vouët, non pas parce qu'il la maîtrisait mieux que N. Régnier, mais parce qu'il était simplement revenu dans son pays natal.

A Venise, Nicolas Régnier, de 1626 à 1641, subit l'influence de différents peintres et il n'est pas inutile de rappeler que l'Italie a été pendant des siècles le pays de l'art et de la culture, quel que soit le sens que l'on donne à ce mot. Il était donc normal à cette époque de subir des influences picturales diverses tant les peintres foisonnaient et se dépassaient en excellence. Léonard de Vinci s'était éteint depuis plusieurs décennies dans les bras de François I", mais les tableaux et sculptures italiennes avaient inondé l'Europe et fait le bonheur de toutes les cours.

A Venise, N. Régnier délaisse un tout petit peu la technique du Caravage et subit l'influence des Bolonais, et tout particulièrement du "Guide" (en italien). Sa réputation de portraitiste lui vaut de nombreux succès bien que, paradoxalement, aucun de ses portraits ne nous soit parvenu. Le tableau de la "Diseuse de bonne aventure" n'en est que plus précieux.

La technique de Régnier peut être très grossièrement classée en deux groupes: dans le premier, les sujets sont peints avec une certaine élégance, le pinceau est souple, nerveux, léger, dans le second, le style est plus froid, sévère, les personnes sont marmoréennes, dénotant l'influence de la sculpture qu'il avait pratiquée en Italie.

Difficile cependant d'être totalement affirmatif sur sa peinture, car N. Régnier ne signait pas ses œuvres d'une part et d'autre part un petit nombre d'entre elles nous est parvenu. Le peu que nous ayons l'ayant été par l'intermédiaire d'Hermann Voss, flamand qui s'était intéressé la peinture de Régnier et grâce à qui nous avons aujourd'hui quelques œuvres, dont ce tableau acquis en 1816.

Le thème de la chiromancie a inspiré les plus grands peintres du XVIe et du XVIIe siècles, et même plus tard, de Michelangelo Merisi dit "Le Caravage" à Georges de La Tour. Plus de 35 tableaux ont été peints sur ce thème. C'est probablement le tableau du Caravage, antérieur à celui de Nicolas Régnier, qui a, à ce jour, traité le thème de la chirologie avec le plus de maîtrise et de beauté. Louis XIV allait recevoir ce tableau en cadeau d'un prince italien. On peut l'admirer aujourd'hui au Musée du Louvre.

La chiromancie, ou plus exactement la chirologie, c'est-à-dire l'étude de la morphologie de la main est un art divinatoire qui remonte à des temps extrêmement anciens. Nous n'avons aucune certitude sur le début de sa pratique, mais nous savons qu'elle était déjà connue en Chine 3 000 ans avant Jésus-Christ, qu'elle était pratiquée en Egypte et aux Indes et qu'elle était considérée, à l'époque d'Aristote, Ptolémée, Anaxagore ou Platon, comme un art divinatoire extrêmement important et fiable. Les Pythagoriciens mettaient en parallèle l'esprit des hommes avec les signes de leurs mains et de leurs visages (on pratiquait donc déjà la morphopsychologie). Aussi importante que l'astrologie à l'époque de la Grande Rome, le conseil des Augures y avait recours et les grands empereurs romains s'y entraînaient régulièrement. Le Moyen-âge ne fut pas en reste et la chirologie fut longtemps opposée à l'astrologie. Par la suite, peu prisée de l'Eglise Catholique Romaine, elle fut classée comme un art divinatoire mineur et devint plus marginale, tombant, sans mauvais jeu de mots, entre les mains des maures, bohémiens, gitans et tziganes.

La chirologie reste cependant un art de "l'ombre". En France, regardée avec suspicion, on lui a attribué certains maléfices. Il est vrai qu'en ces temps troublés de guerre de religion, tout ce qui n'entrait pas dans le cadre défini de la Grâce divine, rédemptrice, de l'Eglise Catholique Romaine, ou de la prédestination divine de l'homme des calvinistes, était suspect.

Et pourtant, Catherine de Médicis et son "oncle", le pape Clément VII y avaient recours régulièrement. Les astrologues, diseurs de bonne aventure et autres Nostradamus, avaient pignon sur rue et leurs entrées dans les " bonnes maisons " et " grandes cours " européennes. Le Moyen-âge n'était pas très loin et la chirologie était encore considérée comme un art divinatoire sérieux, mais à "occulter" de préférence.

Dans le tableau de N. Régnier, la "diseuse de bonne aventure", on retrouve le mystère et la poésie propres à la lecture de la morphologie de la main. Plastique et psychologie sont présentes. L'ombre et le sombre représentent ici le mystère. Les couleurs et contrastes sont raffinés. Dans cette ambiance chaleureuse, la jeune consultante est confiante, malgré la relation de doute perceptible. La diseuse de bonne aventure se veut rassurante et, derrière, l'amant, le fiancé ou le promis écoute attentivement l'annonce d'une probable demande en mariage. La lecture de la main est faite par une "Maure", indication déjà de la "marginalité" des "chirologues" et de leurs assistantes. La jeune femme répond aux critères de la beauté de cette époque. Une certaine corpulence, un nez fin, un visage relativement petit par rapport au reste du corps. Des standards très classiques, que l'on retrouve dans toute l'Europe et qui pousseront Henri II à préférer Diane de Poitiers à Catherine de Médicis, si peu conforme à son époque.

Un tableau chaleureux, dépeignant parfaitement une situation courante et réelle de cette époque, ambiance sombre et détendue peu éloignée de ce que l'on retrouvait voici peu chez les voyantes et autres mages modernes, avant l'ère du Minitel et autre Internet.

Nicolas Régnier eut quatre filles, d'une grande beauté, dont deux se consacreront à la peinture. Il vivra et mourra en Italie sous le nom de Niccolo Renieri sans revoir son pays natal et les brumes du Nord. Il était juste de lui rendre cet hommage, lui qui sut, dans un siècle de talents innombrables, se faire une place au soleil de l'Italie.

Jean Gavaudan, MD







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