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T. Ajdukiewicz, (1852-1916) Portrait dHelena Modrzejewska, 1880, polonais. ® Musée National de Cracovie
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Tadeusz Ajdukiewicz est né polonais en dépit de sa naissance dans la Voïvodie de Cracovie. Cette région après linsurrection polonaise de la fin du XVIIIème siècle a été successivement autrichienne, polonaise puis, en 1846, à nouveau autrichienne à la suite dune tentative de rébellion. Elle était donc administrée par lEmpire Austro-hongrois qui lui laissait, à dire vrai, beaucoup de liberté. Cest exactement à 14 km de là, dans une petite ville, Wieliczka, que naît Tadeusz Ajdukiewicz.
Doué pour le dessin, il est naturellement orienté dès 1868 vers les cours de Wadysaw Luszczkiewicz à lécole des Beaux-Arts de Cracovie où il étudiera jusquen 1873. Wadysaw Luszczkiewicz (1828-1900), peintre honnête, est surtout un grand pédagogue et un des premiers historiens dart polonais.
Cracovie est alors un des centres européen de la culture. Vieille ville située sur la Vistule, elle abrite une célèbre université, lune des plus vieilles dEurope et offre un épanouissement à tous ceux qui, comme Tadeusz Ajdukiewicz, cherchent à se former dans le domaine artistique. Tadeusz nétant pas un rebelle, il suit sagement pendant 5 ans les cours de son maître avant de se rendre pour compléter sa formation dans les académies de Vienne et de Munich ainsi quà latelier de Józef Brandt, peintre polonais appartenant à ce que lon a appelé lécole de Münich.
Münich, depuis le règne de Louis Ier de Bavière, est devenue une ville dart réputée et non plus seulement la ville de la bière. Fort justement Henrich Heine en a dit : « Munich est lovée entre lart et la bière comme un village entre deux collines ».
Tadeusz a une vingtaine dannées, sa formation de peintre classique étant désormais terminée, il décide de voyager et de voir le monde. Vers 1877, il part à Paris où vient de décéder Gustave Courbet et où le pays vit la fameuse crise de 1877 qui allait asseoir, pour le meilleur et pour le pire, la IIIème République. Mais Tadeusz est un classique, limpressionnisme nest pas sa formation. Alors que Degas, Rodin et Pissaro mènent le bal, Tadeusz reste dans sa coquille. A-t-il seulement le temps de rencontrer les peintres de cette école ? Paris ne lui plaît pas. Trop mouvementée, trop tournée vers le modernisme après des années dobscurantisme. Paris, en 1877, est une ville qui sort à peine dune guerre et dune tentative de révolte. Une ville qui a envie de vivre.
Tadeusz ne sy sent pas à laise, il est un homme dEurope Centrale, un slave. Il repart pour le Proche-Orient qui se désagrège en même temps que lEmpire Ottoman dont les années sont désormais comptées. Mais la lumière est telle, quelle ne peut que séduire un peintre. Tadeusz regarde, observe, admire et emporte avec lui les souvenirs de Damas et de Jérusalem.
A trente ans, il est désormais mûr en tant que peintre et en tant quhomme. En 1882, il décide de sinstaller à Vienne, la Vienne de François-Joseph, la cité européenne de la culture. Reconnu pour son habile talent et son travail honnête, il travaille pour la cour impériale et pour laristocratie. Il sest spécialisé dans les portraits, les tableaux de genre ou les parades militaires. Le tableau présenté est celui dHelena Modrzejewska, la plus grande actrice polonaise ayant existé. Sa renommée fit le tour de monde, elle finira sa vie, devenue citoyenne américaine, à Newport Beach, en Californie, en 1909.
A une époque où la vanité est bien de se faire représenter en pied au-dessus de cheminées monumentales, Tadeusz ne manque pas de travail. Il reste à Vienne une année, le temps de rencontrer les personnes influentes, les talents naissants et ce siècle qui sétire vers une fin qui narrive pas :
« Qui êtes-vous ?
Je mappelle Tadeusz Ajdukiewicz.
Polonais ?
Oui.
Vous parlez bien allemand.
Je suis né à Krakow.
Ah, cela explique tout.
Et que faites-vous ?
Je suis peintre.
Que peignez-vous ?
Des portraits, des paysages, des scènes de genre.
Quelles scènes ?
Des parades militaires, des généraux, des officiers.
Vous flattez la vanité.
Non, je gagne ma vie.
Cest bien ce que je vous dis, vous flattez leur vanité.
Vous êtes bien jeune pour me juger ainsi, Dr Schnitzler.
Je ne suis pas encore médecin, mais jai déjà vu bien des choses à Vienne. Ne restez pas ici, vous deviendrez un courtisan, mais un mauvais peintre.
Je nen ai pas lintention, je veux économiser suffisamment dargent pour partir lannée suivante.
Où ?
A Londres probablement.
Je vous souhaite de réaliser votre rêve, Monsieur Ajdukiewicz. Quels symptômes vous amènent ici à lHôpital Général de Vienne ? »
Tadeusz Ajdukiewicz avait ainsi probablement rencontré Arthur Schnitzler, par hasard, ou parce que le destin lavait voulu.
Mais il avait compris que Vienne était avant tout la Cour impériale et que pour sy faire un nom en étant polonais, il fallait des relations quil naurait sans doute jamais.
Il part donc à Londres, précédé dune réputation honnête, on lui commande le portrait du prince Albert Edouard de Galles, le futur Edouard VII, père du prince Albert Victor, que lon a soupçonné pendant un certain temps, mais à tort, dêtre Jack léventreur et dont la sexualité fit beaucoup jaser le monde aristocratique européen.
Tadeusz na le temps ni de rencontrer ni surtout dapprécier les compositions flamboyantes de Turner, pas plus que cette Angleterre qui bouillonne autour de la Reine Victoria. Conan Doyle, Oscar Wilde et Lewis Caroll resteront des étrangers pour Tadeusz. Il court et semble ne pas vouloir sarrêter. Tadeusz est un anxieux profond. Il y trouve un moteur qui lemmène autour du monde.
Alors, insatiable, voyageur infatigable, Tadeusz, qui nest pourtant pas Rimbaud, se rend en 1884, à Constantinople, dans un empire en plein déclin où il est linvité du sultan Abdhulhamid II, le Sultan Rouge. Abdhulhamid II, bien avant le génocide des Arméniens par les Turcs, a commencé une politique de purification ethnique vis-à-vis des chrétiens. Cocasse et tragique la présence de ce peintre catholique polonais chez le boucher ottoman.
Mais, Tadeusz continue son errance. Il part successivement à Sofia, Saint-Pétersbourg et Bucarest où, enfin, il pose ses bagages. En Roumanie, il devient le peintre de la cour du roi Charles Ier en 1914.
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, il revient dans son pays natal où, à 62 ans, il sengage dans les légions polonaises. Ce nest guère raisonnable. Peut-être veut-il rencontrer sa fin ?
La guerre nest en effet pas une affaire denfants ou de vieillards. Tadeusz a surestimé ses forces. Ne supportant pas les conditions de vie difficiles de la guerre, il décède peu après, lors dun hiver froid, en 1916 à Cracovie qui, en 1918, devient enfin polonaise.
Un an après, en 1917, son cousin germain, Zygmunt Ajdukiewicz, peintre comme lui, dont le parcours avait suivi le même classicisme, séteint à son tour.
Tadeusz reste pour la postérité un peintre classique, sans originalité majeure, mais au coup de pinceau sûr et à lœil aiguisé. Il sait rendre dans ses portraits ce qui est, avec, si nécessaire, ce petit coup déclat qui met en valeur son modèle. Dans la pure lignée des peintres officiels des cours dEurope, il a su se faire un nom. Un peu oublié aujourdhui, il appartient à ces nombreux peintres que lon voit dans les musées, et que lon oublie en passant. Son talent nen demeure pas moins.