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Identification de patients à faible risque de thromboembolie veineuse récurrente par l'évaluation de la production de thrombine
Gregor Hron, MD;
Marietta Kollars;
Bernd R. Binder, MD;
Sabine Eichinger, MD;
Paul A. Kyrle, MD
RÉSUMÉ
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Contexte Le dépistage des facteurs prédisposant
à la thrombose chez les patients ayant fait une thromboembolie veineuse
(TEV) est de pratique clinique courante. L'évaluation du risque de
récurrence chez un patient en particulier est complexe en raison du
grand nombre de facteurs de risque. Il serait par conséquent
intéressant de disposer d'une méthode permettant de
détecter une thrombophilie multifactorielle.
Objectif Etudier les relations entre les récurrences de TEV
et la production de thrombine évaluée par un simple test de
coagulation globale.
Plan expérimental, cadre et participants Étude de
cohorte prospective effectuée chez 914 patients ayant eu une
première TEV spontanée, suivis durant 47 mois en moyenne
après arrêt d'un traitement antivitamine K.
L'étude a été réalisée dans le
département de médecine interne I de l'université
médicale de Vienne (Vienne, Autriche) entre juillet 1992 et juillet
2005. La production de thrombine a été évaluée au
moyen d'un système d'analyse commercialisé. Les motifs
d'exclusion de l'étude étaient les suivants: TEV
secondaire ou antécédent de TEV, déficit en
antithrombine, en protéine C ou en protéine S, présence
d'un anticoagulant lupique, cancer et grossesse.
Principal critère de jugement TEV récurrente
symptomatique documentée de manière objective.
Résultats Une récurrence de TEV est survenue chez 100
patients (11 %). Chez les patients n'ayant pas de récurrence, la
production de thrombine était plus faible que chez les patients ayant
une récurrence (moyenne [écart type]: 349,2 [108,0] nM
vs 419,5 [110,5] nM; p < 0,001). Par comparaison avec les
patients ayant une production de thrombine supérieure à 400 nM,
le risque relatif (RR) de récurrence était de 0,42 (intervalle
de confiance [IC] à 95 %: 0,26 — 0,67; p < 0,001)
chez les patients ayant des valeurs situées entre 300 nM et 400 nM et
de 0,37 (IC à 95 %: 0,21 — 0,66; p = 0,001) chez les
patients ayant des valeurs inférieures à 300 nM. Après 4
ans, la probabilité de récurrence était de 6,5 % (IC
à 95 %: 4,0 % — 8,9 %) chez les patients ayant une production de
thrombine inférieure à 400 nM et de 20,0 % (IC à 95 %:
14,9 % — 25,1 %) chez les patients ayant des valeurs plus
élevés (p < 0,001). Les patients dont la production de
thrombine était inférieure à 400 nM, qui
représentaient deux tiers des participants, avaient un RR de
récurrence inférieur de 60 % par rapport à ceux ayant des
valeurs plus fortes (RR: 0,40; IC à 95 %: 0,27 — 0,60; p
< 0,001).
Conclusion L'évaluation de la production de thrombine
permet d'identifier des patients ayant un faible risque de
récurrence de TEV.
JAMA. 2006 ; 296: 397-402.
Chez les patients qui font une thromboembolie veineuse (TEV), le traitement
anticoagulant comporte tout d'abord une héparine de bas poids
moléculaire à dose thérapeutique puis un antivitamine K
pendant au moins 3 à 6
mois.1 Après
l'arrêt du traitement anticoagulant, un tiers des patients ont une
récurrence dans les 5 à 8
ans.2 Le taux de
décès par récurrence est d'environ 5
%.3
L'identification des patients qui pourraient bénéficier
d'un traitement anticoagulant à durée
indéterminée (c'est-à-dire, les patients chez
lesquels la probabilité de récurrence de TEV est
supérieure à celle d'hémorragie grave du fait de
l'anticoagulation) est par conséquent actuellement un des
principaux objectifs de la recherche dans le domaine de la thrombose.
La probabilité de TEV récurrente varie selon les individus;
elle est fortement influencée par la présence de facteurs de
risque permanents et /ou acquis. Parmi les multiples facteurs de risque de
thrombose, certains semblent avoir une responsabilité dans les maladies
récurrentes: le déficit en antithrombine, protéine C ou
protéine S; la présence d'une mutation homozygote ou de
plusieurs mutations associées; la présence d'anticorps
antiphospholipides; et des taux plasmatiques élevés de facteur
VIII.4 Cependant, de
nombreux patients faisant une TEV n'ont pas qu'un seul facteur les
prédisposant à la thrombose et, à aujourd'hui, des
facteurs de risque importants de TEV n'ont pas encore été
identifiés. Dans l'idéal, un examen biologique unique qui
détecterait une thrombophilie multifactorielle pourrait faciliter la
détermination du risque global de TEV récurrente.
La formation de la thrombine est l'étape clé de
l'hémostase. D'après les expériences faites in
vitro, elle se fait en 2 phases. Tout d'abord, de petites
quantités de thrombine sont produites après l'activation du
facteur X par le complexe thromboplastine tissulaire - facteur VIIa. Cette
thrombine initiale permet un développement de la coagulation en
activant les plaquettes, le facteur V et le facteur VIII. Les facteurs VIIIa
et IXa, générés par le complexe thromboplastine
tissulaire - facteur VIIa, se combinent à la surface des plaquettes
activées, ce qui conduit à l'activation du facteur X. Ceci
entraîne la production de grandes quantités de thrombine, la
formation de fibrine et, au bout du compte, la formation du
caillot.5
L'activité thrombine peut être appréciée en
surveillant de manière continue le clivage d'un substrat
chromogène ou fluorescent. Cette méthode permet d'obtenir
une courbe de la thrombine produite au cours du temps et d'en
déduire différents paramètres, en particulier le temps
nécessaire avant la montée brutale de production de thrombine,
la quantité maximale de thrombine produite, la vitesse de production de
thrombine et la quantité totale de thrombine produite (aire sous la
courbe de production de thrombine). Dans une étude de Dargaud et
coll.,6 une
diminution de la production de thrombine a été constatée
chez des patients ayant une tendance au saignement, tels que ceux ayant une
hémophilie A ou B. A l'inverse, on a noté une augmentation
de la production de thrombine chez des patients à risque de TEV, comme
par exemple des femmes sous contraceptif
oral7 ou des
patients ayant un déficit d'un inhibiteur
naturel8,9
ou un facteur II
G20210A.10
En utilisant un modèle de simulation numérique, Brummel-Ziedens
et coll.11 ont
récemment montré une association entre la production de
thrombine basée sur la composition sanguine individuelle et le risque
de première thrombose veineuse.
Nous avons, par conséquent, pris pour hypothèse que les
patients ayant fait une TEV pourraient être classés dans des
catégories de faible risque et de haut risque de récurrence
grâce à l'évaluation de la production de thrombine.
Afin de tester cette hypothèse, nous avons suivi 914 patients ayant
fait une première TEV spontanée et nous avons recherché
des relations entre la production de thrombine et le risque de
récurrence.
MÉTHODES
Patients et plan expérimental
AUREC (Austrian Study on Recurrent Venous Thromboembolism) est une
étude de cohorte prospective en cours ayant inclus des patients de 4
centres spécialisés dans la thrombose à Vienne,
Autriche.12 Le
comité d'éthique de l'université
médicale de Vienne a approuvé l'étude et tous les
patients ont signé un formulaire de consentement éclairé
au début de l'étude. Entre juillet 1992 et juillet 2005,
2977 patients successifs âgés de plus de 18 ans et traités
par antivitamine K depuis au moins 3 mois après un épisode
spontané de TEV ont été recrutés. Tous les
patients avaient été traités par une héparine
standard maintenant un temps de céphaline activée à 1,5
à 2 fois le temps du témoin ou avaient reçu des doses
thérapeutiques sous-cutanées d'héparine de bas poids
moléculaire.
Parmi les 2977 patients recrutés, 2063 ont été exclus.
Le motif d'exclusion était une intervention chirurgicale, un
traumatisme ou une grossesse dans les 3 mois précédents dans 462
cas, un cancer dans 458 cas et la nécessité d'un traitement
à durée indéterminée par un médicament
antithrombotique pour une raison autre qu'une TEV dans 453 cas. Par
ailleurs, 377 patients ayant eu plus d'1 épisode de TEV, 75
patients ayant un anticoagulant lupique et 72 patients ayant un déficit
en antithrombine, en protéine C ou en protéine S ont
été mis sous antivitamines K pour une durée
indéterminée et ont par conséquent été
exclus. Nous avons également exclu 140 patients chez lesquels nous
n'avions pas ce qui était nécessaire pour réaliser
l'examen biologique et 26 patients ayant un taux de facteur VIII
supérieur à 230 UI /dl et inclus dans un essai prospectif
étudiant les effets d'un traitement anticoagulant à long
terme.
Les patients ont été recrutés au moment de
l'arrêt du traitement par antivitamine K, c'est-à-dire
au moins 3 mois après l'épisode aigu de thrombose veineuse.
Une prise de sang a été effectuée 3 semaines après
l'arrêt de ce traitement pour les évaluations de
l'antithrombine, la protéine C, la protéine S,
l'anticoagulant lupique, le facteur V Leiden, le facteur II
G20210A et les facteurs VIII et IX. Pour l'évaluation du
pic de production de thrombine, du sang a été recueilli entre 3
semaines et 94 mois (médiane: 13 mois) après l'arrêt
du traitement anticoagulant. Les patients ont été suivis en
consultation tous les 3 mois durant la première année et tous
les 6 mois par la suite. Il leur était demandé de
prévenir immédiatement un médecin d'un des centres
participants en cas de survenue de symptômes de TEV, des informations
écrites détaillées leur ayant été
données sur ces symptômes. Chaque consultation comportait un
interrogatoire et un examen clinique. Il était
déconseillé aux femmes de prendre un contraceptif oral ou un
traitement hormonal substitutif.
Diagnostic de thromboembolie veineuse
Les critères diagnostiques de TEV ont été
rapportés en détails
ailleurs.12 Le
diagnostic de thrombose veineuse profonde devait être confirmé
par phlébographie ou échographie-doppler couleur (dans les
thromboses veineuses profondes proximales seulement). Pour la
phlébographie, 1 des critères suivants au moins devait
être rempli: défaut constant de remplissage visible sur 2
incidences; interruption brutale d'un vaisseau rempli par le produit de
contraste à un endroit constant de la veine; ou impossibilité de
remplissage de la totalité du système veineux profond sans
l'utilisation d'une technique de compression externe, avec ou sans
circulation veineuse collatérale. Pour
l'échographie-doppler couleur, au moins 1 des critères
suivants devait être rempli: visualisation d'un thrombus dans la
lumière d'une veine profonde, incompressibilité ou
compressibilité incomplète.
Le diagnostic d'embolie pulmonaire était établi soit par
scintigraphie de perfusion /ventilation ayant un résultat positif selon
les critères de l'étude PIOPED (Prospective
Investigation of Pulmonary Embolism
Diagnosis)13
soit par scanner spiralé montrant 1 ou plusieurs zones
d'hypodensité occupant partiellement ou totalement la
lumière d'un vaisseau opacifié. Les patients ayant à
la fois une thrombose veineuse profonde et une embolie pulmonaire
étaient classés comme ayant une embolie pulmonaire.
Critère de jugement
Le critère de jugement de cette étude était la
thrombose veineuse profonde symptomatique récurrente ou l'embolie
pulmonaire symptomatique récurrente, le diagnostic étant
établi selon les critères mentionnés ci-dessus. Il y
avait récurrence de thrombose veineuse profonde si le patient avait (1)
un thrombus dans la jambe non impliquée dans
l'événement précédent; (2) un thrombus dans
une autre veine de la jambe impliquée dans
l'événement précédent; ou (3) un thrombus
dans le même système veineux que celui impliqué dans
l'événement précédent, avec extension
proximale du thrombus si la limite supérieure du thrombus initial avait
été visualisée ou, si elle ne l'avait pas
été, présence d'une anomalie de remplissage par le
produit de contraste cernée par le produit.
Analyses biologiques
Le sang veineux était recueilli dans 10 % de citrate trisodique
à 3,6 %, centrifugé pendant 20 minutes à 2000g et
stocké à -80°C jusqu'au moment de l'analyse. La
production de thrombine était déterminée en utilisant un
kit d'analyse Technothrombin TGA (Technoclone, Vienne, Autriche), un
lecteur de microplaques contrôlé par ordinateur et
complètement automatisé Genios (Tecan, Mannedorf, Suisse) et un
logiciel spécialement adapté (Technothrombin TGA). Avec le kit
d'analyse Technothrombin TGA, la formation de thrombine est mise en
route, dans du plasma citraté, par 71,6 pM de thromboplastine
tissulaire humaine recombinante et 3,2 µM de micelles de phospholipides
(phosphatidylcholine [2.56 µM] et phosphatidylsérine [0.64 µM]).
Pour cette étude, nous avons utilisé la concentration maximale
de thrombine produite (pic de thrombine). Les valeurs de l'antithrombine,
de la protéine C et de la protéine S ont été
déterminées en utilisant les méthodes habituelles
d'analyse biologique. La présence d'un anticoagulant lupique
a été recherchée selon les critères de
l'International Society of Thrombosis and
Haemostasis.14 Les
dépistages du facteur V Leiden et du facteur II G20210A ont
été réalisés comme décrits
précédemment.15,16
Les facteurs VIII et IX ont été dosés par les tests de
coagulation en 1 étape décrits
récemment.17,18
Analyse statistique
Les temps écoulés jusqu'à la récurrence
(observations non censurées) et les temps de suivi pour les patients
sans récurrence (observations censurées) ont été
analysés en utilisant des méthodes de temps de
survie.19 La
probabilité de récurrence a été estimée
selon la méthode de Kaplan
Meier.20 Nous avons
effectué un test des rangs logarithmiques pour comparer les groupes.
Les données qualitatives ont été comparées en
utilisant des tables de contingences (tests de 2). Pour les
données continues, nous avons utilisé le test de Mann et
Whitney. Un modèle univariable et un modèle multivariable
à risques proportionnels de Cox ont été utilisés
pour l'analyse de l'association entre risque de TEV
récurrente et pic de production de thrombine. Des ajustements ont
été faits sur le sexe, l'âge, l'indice de masse
corporelle, la durée du traitement anticoagulant oral, la situation du
premier événement, le facteur V Leiden et le facteur II
G20210A. Toutes les données sont données en moyennes
(écart type) en l'absence d'indication contraire et la valeur
de p < 0,05 a été considérée comme
statistiquement significative. Le logiciel SPSS version 12.0 (SPSS Inc.,
Chicago, Illinois) a été utilisé pour tous les calculs
statistiques.
RÉSULTATS
Patients
Les caractéristiques de départ des 914 patients sont
indiquées au Tableau
1. Au cours de l'étude, 194 patients ont
été exclus. Le motif d'exclusion était: diagnostic
de cancer dans 17 cas, recours à un médicament antithrombotique
pour raison autre qu'une TEV (pour une maladie artérielle ou une
fibrillation auriculaire par exemple) dans 119 cas, grossesse dans 34 cas,
perdu de vue dans 12 cas. Il y a eu, de plus, 12 décès pour
raison autre qu'une TEV, la cause du décès étant une
insuffisance cardiaque (6 cas), un cancer (2 cas), un étouffement (1
cas), une hémorragie cérébrale (1 cas), une dissection
aortique (1 cas) ou un suicide (1 cas). Les patients ont été
suivis jusqu'au moment de leur exclusion /décès, date
à laquelle les données étaient censurées.
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Tableau 1.. Caractéristiques initiales des patients (N=914)*.
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Récurrences de thromboembolie veineuse
Une récurrence de TEV est survenue chez 100 patients (11 %)
(thrombose veineuse profonde chez 58 patients et embolie pulmonaire chez 42
patients). L'embolie pulmonaire a été mortelle chez 3
patients. La récurrence est survenue spontanément chez 90
patients et à la suite d'une intervention chirurgicale ou
d'un traumatisme chez 10 patients. Une récurrence a
été observée chez 69 hommes et 31 femmes. Les patients
ayant une récurrence avaient des concentrations plus
élevées de facteur VIII (173 [45] UI /dl vs 165 [45] UI /dl;
p = 0,15) et de facteur IX (127 [29] UI /dl vs 118 [25] UI
/dl; p = 0,002); leur période d'observation était
plus courte (32 vs 48 mois; p < 0,001); et ils étaient plus
âgés (50 vs 47 ans; p = 0,08). Le facteur V Leiden a
été détecté chez 38 patients ayant une
récurrence (38 %) et chez 222 patients (27 %; p = 0,03)
n'ayant pas de récurrence. Le facteur II G20210A a
été trouvé chez 9 patients ayant une récurrence (9
%) et chez 54 patients (7 %; p = 0,38) n'ayant pas de
récurrence.
Pic de production de thrombine et risque de TEV récurrente
Le pic de production de thrombine était plus élevé
chez les femmes que chez les hommes (366,5 [108,6] nM vs 345,0 [111,6] nM;
p = 0,009) et les porteurs du facteur II G20210A avaient un
pic plus élevé que les patients non porteurs de cette mutation
(396,1 [122,4] nM vs 353,6 [108,9] nM; p = 0,004). Aucune
différence dans le pic de production de thrombine n'a
été observée entre les patients ayant un facteur V Leiden
et ceux n'ayant pas cette mutation (357,5 [109,5] nM vs 356,1
[110,7] nM; p = 0,90). Il n'y avait pas non plus de
différence entre les patients ayant un taux élevé de
facteur VIII et ceux n'ayant pas un taux élevé (370,3
[106,3] nM vs 356,1 [110,7] nM; p = 0,43). Une deuxième
évaluation du pic de production de thrombine a été
effectuée dans un sous-groupe aléatoire de 319 patients.
L'intervalle de temps prédéterminé entre la
première et la deuxième évaluation était d'au
moins 12 mois et de 30 mois au maximum. Aucune différence significative
n'a été constatée entre la première et la
deuxième évaluation du pic de thrombine (p = 0,67). Le
coefficient de corrélation entre les 2 évaluations était
de 0,46 (p < 0,001).
Les patients n'ayant pas de récurrence de TEV avaient un pic de
production de thrombine significativement plus faible que celui des patients
ayant une récurrence (349,2 [108,0] nM vs 419,5 [110,5] nM;
p < 0,001). Aucune différence n'a été
observée entre les patients ayant une thrombose veineuse
récurrente spontanée et les patients ayant une récurrence
secondaire un facteur déclenchant (419,3 [108,5] nM vs 421,5
[133,8] nM; p = 0,92).
Lorsque nous avons analysé le pic de production de thrombine comme
une variable continue dans un modèle à risque proportionnel de
Cox, nous avons constaté un risque relatif (RR) de récurrence de
1,04 (intervalle de confiance [IC] à 95 %: 1,02 - 1,06; p <
0,001) pour chaque augmentation de 10 nM, ce risque relatif restant identique
après ajustement sur l'âge, le sexe, l'indice de masse
corporelle, la situation de la première thrombose, la durée du
traitement anticoagulant oral, le facteur V Leiden et le facteur II
G20210A.
Les RR de TEV récurrente associés à chacune des
catégories établies en fonction de la valeur du pic de
production de thrombine sont visibles sur le
Tableau 2. Par
comparaison avec les patients ayant un pic supérieur ou égal
à 400 nM, le RR de récurrence était de 0,42 (IC à
95 %: 0,26 - 0,67; p < 0,001) chez les patients ayant des valeurs
situées entre 300 nM et 400 nM et de 0,37 (IC à 95 %: 0,21 -
0,66; p = 0,001) chez les patients ayant des valeurs
inférieures à 300 nM. Des résultats similaires ont
été obtenus dans l'analyse multivariable.
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Tableau 2.. Risque relatif de thromboembolie veineuse récurrente dans les 3 groupes d'effectif similaire établis en fonction de la valeur du pic de thrombine.
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Nous avons ensuite comparé le risque de TEV récurrente chez
les patients ayant un pic de production de thrombine supérieur ou
égal à 400 nM et chez les patients ayant un pic inférieur
à 400 nM. Cette limite de 400 a été choisie en se basant
sur les analyses de régression de Cox et les RR obtenus dans les 3
groupes d'effectif similaire constitués. La limite
inférieure du groupe des valeurs les plus élevées
était de 400 nM et c'était celle qui permettait le mieux de
différencier les patients à faible risque de ceux à haut
risque. Les patients ayant un pic de production de thrombine inférieur
à 400 étaient plus jeunes et une forte proportion d'entre
eux avait des taux faibles de facteur VIII ou IX. Aucune différence
entre les 2 groupes n'a été constatée concernant le
facteur V Leiden (voir Tableau
3). À 4 ans, la probabilité de TEV
récurrente était de 6,5 % (IC à 95 %: 4,0 % - 8,9 %) chez
les patients ayant un pic de production de thrombine inférieur à
400 nM contre 20,0 % (IC à 95 %: 14,9 % - 25,1 %) chez les patients
ayant un pic de production de thrombine supérieur ou égal
à 400 nM (p < 0,001 par test des rangs logarithmiques [voir
le Schéma]). Par comparaison avec les patients ayant un pic de
production de thrombine supérieur ou égal à 400 nM, le RR
de récurrence était de 0,40 (IC à 95 %: 0,27 - 0,60;
p < 0,001) chez ceux qui avaient une valeur plus basse. Ce RR
n'était pas notablement modifié après ajustements
sur l'âge, le sexe, l'indice de masse corporelle, la situation
de la première thrombose, la durée du traitement anticoagulant
oral, l'existence d'un facteur V Leiden et l'existence
d'un facteur II G20210A (RR: 0,42; IC 95 %: 0,27 - 0,63;
p < 0,001).
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Tableau 3.. Caractéristiques des patients en fonction du pic de production de thrombine*.
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Le risque de TEV récurrente a été comparé chez
les patients chez lesquels l'évaluation du pic de production de
thrombine avait été faite moins de 13 mois après
l'arrêt du traitement anticoagulant et chez les patients chez
lesquels cette évaluation avait été faite sur un
échantillon de sang prélevé plus tardivement. Les RR
correspondant chez les patients ayant un pic de production de thrombine
inférieur à 400 nM, avec ajustements sur les variables
indiquées ci-dessus, étaient presque identiques (0,33; IC 95 %:
0,19 - 0,57; p = 0,002 vs 0,34; IC 95 %: 0,17 - 0,67; p <
0,001).
COMMENTAIRES
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Dans cette importante étude de cohorte prospective, nous avons
constaté, chez des patients qui avaient fait une première TEV
spontanée, que ceux qui avaient un pic de production de thrombine
inférieur à 400 nM après arrêt des antivitamines K
avaient un risque faible de récurrence. D'après
l'analyse de Kaplan Meier, la probabilité de TEV récurrente
chez ces patients était de moins de 7 % après 4 ans, avec une
limite supérieure de l'IC à 95 % de 9 %. Comparés
aux patients ayant des valeurs du pic de production de thrombine
supérieures à 400 nM, ceux qui avaient des valeurs
inférieures avaient un risque de récurrence presque 60 % plus
faible. Il est également important de noter que le groupe ayant un pic
de production de thrombine faible comprenait les deux tiers des patients de
notre échantillon.
La durée optimale du traitement nécessaire après une
TEV pour éviter une thrombose secondaire est mal connue. Si les
antivitamines K assurent une protection presque totale contre les TEV, ils
occasionnent pour le patient une gêne et un risque de saignements. Les
taux d'incidence des hémorragies graves chez les patients
traités par antivitamines K, avec un INR compris entre 2 et 3, vont de
2 à 4 pour 100
patients-années,21,22
les taux d'incidence des hémorragies intracrâniennes allant
de 0,1 à 0,3 pour 100
patients-années.23
La poursuite des antivitamines K au-delà de 3 à 6 mois ne se
justifie que pour les patients chez lesquels la probabilité
d'avoir une TEV récurrente excède le risque de saignements.
L'identification de tels patients est, cependant, encore un
véritable puzzle. Au cours du temps, plusieurs facteurs de risque
biologiques de TEV récurrente ont été identifiés
et le dépistage systématique complet des facteurs
prédisposant à la thrombose est donc devenu une pratique
courante. Ce dépistage est coûteux et souvent peu concluant dans
la mesure où l'influence de certaines anomalies sur le risque de
récurrence est incertain, où de nombreux patients ont plus
d'1 facteur de risque et où des facteurs de risque n'ont pas
encore été identifiés.
Dans un tel contexte, nous pensons que nos constatations ont un
intérêt clinique majeur. En utilisant une simple méthode
d'analyse biologique commercialisée, mise au point pour
évaluer la production de thrombine, nous avons pu identifier des
patients chez lesquels le risque à long terme de TEV récurrente
est presque négligeable. Si l'on considère les taux
d'incidence des hémorragies graves et mortelles liées au
traitement anticoagulant et le taux de décès par
récurrence de TEV, il est probable que, pour les patients ayant un pic
de production de thrombine bas (< 400 nM), aucun bénéfice ne
puisse être tiré d'un traitement anticoagulant à
durée indéterminée. Un dépistage complet des
facteurs de thrombophilie ne semble donc pas nécessaire dans ce vaste
groupe de patients à faible risque. À cet égard, il est
intéressant de noter que les fréquences de ces facteurs de
risque thrombotique importants que sont des taux plasmatiques
élevés de facteurs VIII ou IX ou la présence d'un
facteur II G20210A étaient moins élevées chez
les patients ayant un pic de production de thrombine inférieur à
400 nM que chez les patients ayant des valeurs plus élevées.
Nous devons aborder certaines limites de cette étude. Nos
données ne sont pas applicables à certains groupes de patients.
Les patients porteurs d'un déficit en antithrombine, en
protéine C ou en protéine S ont été
considérés comme candidats à un traitement anticoagulant
à durée indéterminée et, par conséquent,
ont été exclus de cette étude. Il existe, cependant, dans
la littérature des données indiquant que la formation de
thrombine est augmentée non seulement chez les patients ayant un
déficit en antithrombine mais aussi chez les patients ayant des taux
plasmatiques bas de protéine C ou de protéine
S.8,9,24
Il est par conséquent probable que nous trouverions des pics de
production de thrombine élevés chez les patients ayant un
déficit inné d'un inhibiteur de la coagulation, chez
lesquels le risque de récurrence semble élevé. Dans notre
établissement, les patients qui font plus d'1 épisode de
TEV et ceux qui ont un anticoagulant lupique et une TEV secondaire
reçoivent systématiquement un traitement anticoagulant à
durée indéterminée et sont, par conséquent, exclus
de cette étude. Nous avons également exclu les patients à
bas risque ayant une TEV secondaire à une intervention chirurgicale, un
traumatisme ou une grossesse, chez lesquels un traitement anticoagulant
prolongé n'est habituellement pas justifié.
L'intervalle médian entre l'arrêt du traitement
anticoagulant et l'évaluation du pic de production de thrombine
était de 13 mois et a été très variable selon les
patients. Nous avons évalué le pic de production de thrombine
dans un deuxième échantillon sanguin afin d'étudier
si le moment de l'évaluation avait une influence. Il existait une
corrélation significative entre les 2 évaluations et nous
n'avons trouvé aucune différence statistiquement
significative entre la première et la deuxième évaluation
du pic de production de thrombine. En outre, le risque de récurrence
était identique que l'évaluation ait eu lieu moins de 13
mois ou plus de 13 mois après l'arrêt du traitement
anticoagulant. Ces données suggèrent la stabilité des
évaluations du pic de production de thrombine au cours du temps. AUREC
est une étude de cohorte suscitant des hypothèses; ceci exclut
la détermination à l'avance de certaines valeurs limites.
Nos observations devraient par conséquent servir de base à une
étude expérimentale prospective qui permettrait de les
valider.
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Figure.. Estimations par la méthode de Kaplan Meier du risque de
thromboembolie veineuse en fonction du pic de production de thrombine. La
probabilité de thromboembolie veineuse récurrente était
moindre chez les patients ayant une valeur du pic de thrombine
inférieure à 400 nM (p < 0,001 par test des rangs
logarithmiques [ou logrank]). La valeur médiane du temps de suivi
était de 37 mois (1 à 155 mois).
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CONCLUSION
Grâce à l'utilisation d'un système
d'analyse biologique simple et peu coûteux évaluant la
production de thrombine, nous avons pu identifier un grand nombre de patients
ayant eu une thrombose dont le risque de récurrence était
faible. Ces patients représentaient les deux tiers de notre cohorte. Il
est probable qu'un traitement à durée
indéterminée par antivitamines K n'apporterait aucun
bénéfice chez ces patients.
Informations sur les auteurs
Correspondance: Paul A. Kyrle, MD, Department of Internal Medicine
I,Medical University of Vienna, Währinger Gürtel 18-20, A-1090
Vienna, Austria
(paul.kyrle{at}meduniwien.ac.at).
Contributions des auteurs: le Dr Kyrle a eu un accès complet
à toutes les données de l'étude et accepte la
responsabilité de l'intégrité des données et
de l'exactitude de l'analyse des données.
Conception et schéma de l'étude: Eichinger,
Kyrle.
Recueil des données: Kollars.
Analyse et interprétation des données: Hron, Binder,
Eichinger, Kyrle.
Rédaction du manuscrit: Hron, Kyrle.
Revue critique du manuscrit: Kollars, Binder, Eichinger.
Analyse statistique: Hron.
Obtention du financement: Eichinger, Kyrle. Aide administrative,
technique ou matérielle: Kollars, Binder.
Supervision de l'étude: Eichinger.
Liens financiers: Le Dr Binder a déclaré qu'il
est médecin en chef pour la recherche scientifique de
TechnocloneGmbH,Vienne, Autriche.
Financement/Soutien: ce travail a bénéficié
d'un soutien sous la forme de bourse du Medizinisch-Wissenschaftlicher
Fonds des Bürgermeisters der Bundeshauptstadt Wien et du
Jubiläumsfond of the Austrian National Bank. Le kit du test
Technothrombin TGA et les équipements respectifs nécessaires
à l'analyse ont été fournis par Technoclone, Vienne,
Autriche.
Rôle du sponsor: les sponsors n'ont joué
aucunrôle dans le schéma, la réalisation de
l'étude, dans le recueil, le suivi et l'analyse et dans
l'interprétation des données ni dans la préparation
du manuscrit.
Affiliations des auteurs : Departments of Internal Medicine I (Drs Hron, Eichinger, and Kyrle and Ms Kollars) and Vascular Biology and Thrombosis Research, Center for Biomolecular Medicine and Pharmacology (Dr Binder), Medical University of Vienna, Austria.
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ARTICLE EN RAPPORT
Identification de patients à faible risque de thromboembolie veineuse récurrente par l'évaluation de la production de thrombine
Gregor Hron, Marietta Kollars, Bernd R. Binder, Sabine Eichinger, et Paul A. Kyrle
JAMA. 2006;296:397-402.
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