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  Vol. 296 No. 6, 9 Août 2006 TABLE OF CONTENTS
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Le refus de soin: entre bien-être du patient et devoir éthique du médecin

"Mais docteur, je veux rentrer chez moi"

Joseph A. Carrese, MD, MPH


RÉSUMÉ

Accomplir le désir des patients s'avère délicat lorsqu'il induit la mise en jeu de leur bien-être. Dans cet article, nous présentons le cas d'une femme âgée, sur le point de regagner son domicile après une hospitalisation; elle insiste pour rentrer chez elle, bien qu'elle soit grabataire et ne dispose pas du soutien social ni des ressources financières adéquats pour subsister. L'équipe médicale, embarrassée par cette situation, décide de consulter le comité d'éthique. Cet article aborde divers aspects liés au problème éthique posé par ce cas, notamment l'évolution historique du rôle du patient dans la prise de décision, les positions actuelles relatives aux droits des patients par rapport à leur bien-être, l'évaluation de leur capacité à prendre des décisions sensées, la considération des valeurs des médecins, et enfin, la réponse au refus de soin des patients.

JAMA. 2006 ; 296: 691-695.



PRÉSENTATION DU CAS

Mme A., âgée de 86 ans, grabataire et souffrant d'une invalidité chronique, est admise à l'hôpital avec un changement brutal de son état mental. Initialement, la patiente était consciente et orientée, mais requérait une aide pour toutes les activités de la vie quotidienne, sauf pour s'alimenter. Ses antécédents médicaux incluent une sténose aortique grave (0,53 cm2), une fibrillation auriculaire, de l'hypertension, une dépression, et une fracture de la hanche gauche survenue 18 mois avant la présente admission. La patiente avait refusé la chirurgie pour la sténose aortique comme pour la fracture de hanche.

La patiente, devenue veuve dans les années 70, n'avait pas d'enfants et vivait seule. Pendant 18 mois avant son hospitalisation, elle avait bénéficié d'une aide à domicile vingt-quatre heures sur vingt-quatre, qu'elle avait réduit à 6 heures par jour (de 9 h à 15 h) au cours des derniers mois, pour des raisons financières. Le soir et la nuit durant, Mme A. restait seule. Pour payer ses soins, la patiente avait souscrit un emprunt hypothécaire inversé sur sa maison, vendu la plus grande partie de ses biens, et épuisé ses cartes de crédit. Ses soins médicaux étaient assurés par le biais du programme EHCP (Elder House Call Program) de l'hôpital John Hopkins, un système de visites de médecins à domicile permettant aux patients d'être examinés et soignés dans leur environnement quotidien. Elle disposait également d'un dispositif de téléalarme (Lifeline Systems, Framingham, Massachussetts).

Son neveu, un retraité de 71 ans, était sa personne de confiance et le principal membre de sa famille à s'occuper d'elle. Il allait la voir régulièrement, mais ses visites et sa capacité à fournir une aide étaient limitées par ses voyages fréquents.

Environ 8 mois avant l'admission de la patiente, une réunion avait été organisée en sa présence pour lui exposer les préoccupations relatives à sa sécurité. Les participants incluaient une assistante sociale des APS (Adult Protective Services), son neveu, son médecin EHCP (qui était également son médecin de soins primaires), et un ergothérapeute. L'assistante sociale des APS s'occupait de ce cas depuis 2 ans et avait tenté, en collaboration avec le neveu de Mme A., d'organiser son transfert dans un établissement de résidence assistée (qui aurait été financé par l'assurance maladie), mais la patiente avait refusé. Les ergothérapeutes avaient travaillé avec elle pendant plus d'un mois pour voir si elle pouvait regagner une certaine autonomie, espérant ainsi améliorer la sécurité de sa situation à domicile, mais elle était restée largement impotente. L'équipe multidisciplinaire de professionnels avait informé la patiente que sa situation actuelle était précaire et qu'elle l'exposait à un risque plus élevé de présenter diverses complications médicales et à terme, une dégradation clinique. Selon son médecin EHCP, la patiente comprenait clairement les enjeux, son score MMSE (Mini-Mental State Examination) étant de 28, voire 30, et – plus important encore – avait la capacité à apprécier les risques. Après sa confrontation avec les professionnels, la patiente leur avait répondu: « Vous devrez me traîner de force hors de la maison si vous voulez me placer en maison de santé. » Le médecin EHCP et son neveu ont confirmé que cette position était conforme à l'opinion qu'elle avait toujours soutenue sur le sujet.

Le neveu de Mme A. et son médecin EHCP pensaient que sa situation se dégraderait et qu'elle serait hospitalisée sous peu. Cependant, elle réussit à se maintenir pendant près de 8 mois: elle était en mesure de rester seule chez elle et n'a pas développé de lésion cutanée jusqu'avant son hospitalisation; elle restait très soignée et était de bonne humeur. Dans les mois précédant son hospitalisation, elle ne sortait pourtant plus de son lit qu'environ une heure par jour.

Lors de son admission aux urgences, ses signes vitaux incluaient une pression artérielle de 90/30 mm Hg, un rythme cardiaque de 122/min, et une température de 37,9° C. Affublée d'une blouse d'hôpital, elle n'était orientée que par rapport aux personnes et était considérée comme délirante. Elle était négligée, présentait d'importantes caries dentaires et une escarre sacrée de stade 2, et macérait dans ses selles et ses urines. Elle avait un taux de leucocytes de 13 X 103/µL et d'acide lactique de 3 mg/dL, et ses examens d'urines montraient une quantité anormale de globules blancs associée à une charge bactérienne. Admise en médecine interne avec un diagnostic de septicémie à point de départ urinaire, elle a reçu des antibiotiques et une réhydratation par voie intraveineuse. Au deuxième jour d'hospitalisation, son état s'était considérablement amélioré, avec un état mental considéré comme de retour au niveau initial, et son plan de sortie a été préparé. L'équipe de kinésithérapeutes et d'ergothérapeutes a recommandé un placement de courte durée en service subaigu dans un centre de réadaptation.

Mme A. ne voulait pas entendre parler de réadaptation et voulait regagner directement son domicile: rentrer chez elle et y rester était sa seule priorité. Connaissant sa situation à domicile, les membres de l'équipe multidisciplinaire de soins, incluant assistantes sociales, kinésithérapeutes et ergothérapeutes, médecins et infirmières, étaient inquiets pour sa sécurité en cas de retour dans son état actuel. La patiente a été informée que son état de santé était susceptible de se dégrader, qu'elle allait développer une aggravation des escarres et souffrir d'une plus mauvaise hygiène. Elle a également été prévenue que ses risques de retourner rapidement à l'hôpital, ou même de mourir seule chez elle étaient élevés. Elle a en outre été informée que sa capacité à s'assurer des services de soins à domicile s'éteindrait lorsqu'elle serait à court d'argent. En dépit de l'évocation de tous ces problèmes avec la patiente, cette dernière est restée catégorique sur son intention de rentrer, affirmant qu'elle était consciente des risques potentiels et qu'elle n'irait nulle part ailleurs. L'équipe médicale pensait qu'elle était apte à prendre cette décision, mais compte tenu de la gravité de la situation, a consulté le service de psychiatrie pour avoir un deuxième avis. La psychiatre consultée a conclu à la compétence de la patiente, mais en notant « la possibilité qu'elle ne réalise pas entièrement l'étendue de la détérioration de son état de santé ni son besoin croissant de soins. » La psychiatre a par ailleurs indiqué que la dépression de la patiente était bien traitée.

Une assistante sociale de l'hôpital a contacté son homologue des APS qui a estimé que dans un souci de sécurité, la patiente ne devait pas rester seule chez elle dans son état actuel.

L'équipe médicale a saisi le comité d'éthique pour traiter la question de savoir si « cette patiente au terrain débilité, dépendante, bien que compétente, avait le droit de rentrer chez elle où sa situation était précaire ».


DISCUSSION

L'une des difficultés majeures de ce cas réside dans la conciliation de deux obligations éthiques fondamentales qui se révèlent en conflit direct: (1) le devoir de promouvoir le bien-être du patient et de le protéger du mal et (2) le devoir de respecter les désirs d'un patient compétent. Toutes les personnes impliquées dans les soins de cette patiente étaient préoccupées par le fait que la réintégration de son domicile directement après son hospitalisation constituerait une menace à son bien-être et un risque élevé de préjudice. Dans le même temps, elles étaient toutes gênées par la perspective d'outrepasser ses désirs.

Statut du patient dans la relation médicale: perspective historique

Il a, de tout temps, été accordé un poids insuffisant aux patients dans le processus de prise de décision médicale. En 1847, le premier Code d'éthique de l'AMA (American Medical Association) énonçait que « l'obéissance du patient à la prescription du médecin doit être prompte et implicite. Il ne doit jamais permettre que son jugement grossier de son état de santé, quelle que soit sa pertinence, n'influence l'attention qu'il leur porte. »1 Cette déclaration ne laissait aucun doute quant au lieu d'autorité voulu dans la relation médecin-patient. Le rôle du patient était d'être obéissant et respectueux. Les médecins ne devaient pas être contredits, et les patients ne devaient pas soumettre leur « jugement grossier ».

Plus d'un siècle plus tard, le patient était toujours relégué à l'arrière-plan dans la relation médecin-patient, ce qui était illustré par sa participation limitée dans la prise de décision et son accès restreint aux informations essentielles. Selon un article publié en 1953 dans le JAMA, 69 % des médecins ne disaient jamais ou généralement pas à leurs patients qu'ils avaient un cancer. L'un des médecins participant à l'étude justifiait cette pratique par cet argument couramment invoqué: « Je ne dis jamais au patient qu'il ou elle a un cancer, quelle que soit sa résistance ou sa stabilité émotionnelle, car très peu sont de taille à supporter la vérité. »2 Une étude similaire publiée en 1961 démontrait que 90 % des médecins n'informaient pas leurs patients de leur diagnostic de cancer.3

Les 50 dernières années ont heureusement connu une profonde évolution au regard du rôle du patient dans la prise de décision et de son statut dans la relation médecin-patient. Dans le cadre du bouleversement des normes sociales survenu dans les années 1960 et 1970,4 l'autonomie du patient s'est imposée comme un principe dominant de la bioéthique.5 Une étude revisitant la question de la divulgation du diagnostic de cancer, publiée en 1979 dans le JAMA, concluait que 97 % des médecins préféraient désormais révéler le diagnostic de cancer à leurs patients.6 Parallèlement à cette nouvelle prise de position des médecins s'est amorcé un changement du statut des patients dans la relation médecin-patient et dans leur implication dans la prise de décision médicale.

Selon les Principes d'éthique médicale établis par l'AMA en 1980 (revus plus récemment en 2001), « le médecin doit respecter les droits des patientsÉ ».7 Entre autres droits, il était reconnu aux patients le droit à l'autodétermination. Cependant, le droit du patient à décider pour lui-même recouvre-t-il celui de prendre la mauvaise décision?

Entre droits et bien-être du patient

Les patients ont le droit de définir les valeurs et les objectifs qui détermineront leurs soins médicaux. Ces valeurs et objectifs documentent la prise de décision relative à des interventions médicales spécifiques, comme lorsqu'il s'agit de choisir entre différentes approches thérapeutiques. Afin de favoriser ce droit à l'autodétermination, les médecins doivent adopter une démarche axée sur le patient, en prenant soin de déterminer ses valeurs et ses objectifs en matière de soins, tout en tentant de mettre au jour son point de vue sur sa maladie.

Il est souvent difficile pour les médecins et autres membres de l'équipe soignante d'accepter les décisions du patient lorsqu'elles divergent de la prise en charge recommandée par un professionnel, dont l'objectif est de servir les intérêts du patient. Même si ces décisions excluent tout bénéfice au sens biomédical, elles peuvent profiter aux patients en d'autres façons si elles sont conformes à leurs valeurs et à leurs objectifs.8 Les choix des patients qui menacent leur bien-être et se révèlent contradictoires avec les valeurs et les objectifs qu'ils ont euxmêmes définis sont particulièrement difficiles à accepter parce qu'ils s'avèrent non seulement « mauvais » d'un point de vue médical, mais également irrationnels. Il est important que les médecins identifient la cause sous-jacente d'une prise de décision irrationnelle et la traitent de manière appropriée.9

Mme A. tenait, apparemment par-dessus tout, à vivre chez elle. Cependant, l'accession à cette demande permettait plus difficilement de promouvoir ses intérêts au sens médical du terme, tout en introduisant une forte probabilité de préjudice. De nombreux auteurs ont exprimé leur préoccupation quant au fait qu'une adhésion trop stricte au principe d'autonomie du patient risquait, entre autres, de laisser une place insuffisante à d'autres principes majeurs (tels que le devoir de faire le bien et de protéger les patients). Ce déséquilibre pourrait induire un rôle indûment restreint des médecins dans la prise de décisions médicales importantes. L'objectif, est-il argué, devrait consister à trouver un bon équilibre entre l'autonomie et la bienfaisance, qui impliquerait un respect légitime de l'autodétermination du patient sans renoncer au devoir de servir au mieux ses intérêts.10 Cette approche accorderait aux médecins un rôle significatif dans la relation médecin-patient et dans la prise de décision médicale, dans le cadre duquel ils tiendraient compte du bien-être des patients tout en évitant de retomber dans le paternalisme.

Néanmoins, les décisions du patient sont le plus souvent respectées, et cela même si elles sont perçues par leur médecin comme étant « mauvaises » ou « irrationnelles », sauf en présence d'un risque de préjudice pour un tiers, d'un trouble psychiatrique mal traité, ou d'un doute relatif à la compétence du patient.11 Bien que les questions relatives à la capacité du patient ne doivent pas se limiter aux cas où les médecins considèrent leur choix comme étant « mauvais » ou « irrationnel », il est tout à fait logique qu'elles soient soulevées dans ces circonstances.

Évaluation de la compétence

Les méthodes d'évaluation de la capacité décisionnelle portent généralement sur plusieurs capacités fonctionnelles fondamentales,12 et diffèrent en cela des outils d'évaluations de l'état mental comme le MMSE (Mini-Mental State Examination). Dans certaines formulations, ces capacités sont présentées hiérarchiquement, avec une progression s'échelonnant des tâches les plus simples aux plus complexes.13 Les critères évalués incluent la capacité à définir et à exprimer ses choix; la capacité à comprendre l'information relative à sa situation médicale; la capacité à apprécier le fait que l'information s'applique à soi dans la situation présente, et éventuellement future; et enfin, la capacité à engager une réflexion rationnelle sur les options thérapeutiques et à expliquer les raisons d'un choix au détriment d'un autre, en se basant sur ses propres valeurs. Il existe un outil, qui a été testé empiriquement, destiné à évaluer individuellement la capacité des malades à prendre des décisions thérapeutiques; cependant des considérations temporelles peuvent limiter la généralisation de son utilisation en pratique clinique.14,15

Certains auteurs se sont déclarés en faveur d'une norme flexible concernant la capacité décisionnelle, dans laquelle l'augmentation du risque de préjudice impliquerait parallèlement l'application de critères de compétence plus rigoureux.16 Dans notre cas, les risques étaient relativement élevés. Si Mme A. était renvoyée chez elle, elle était exposée à un risque de morbidité sévère, voire de décès. Dans ce contexte, certains experts appelleraient à l'application d'une norme plus stricte pour déterminer la compétence de la patiente.

Dans le cas présenté ici, le consultant psychiatre a conclu que Mme A. était compétente, mais a par ailleurs émis des réserves sur son degré d'appréciation de certains facteurs relatifs à son choix. Une évaluation effectuée indépendamment par le médecin membre du comité consultatif d'éthique (J.A.C.) a soulevé des problèmes similaires: il y avait des incertitudes quant à la rigueur avec laquelle la patiente avait étudié les implications de son retour à domicile. Lors de l'entretien, la patiente avait semblé peu disposée ou incapable d'engager une conversation sérieuse (et pertinente) sur les risques associés à la ligne de conduite qu'elle proposait.

Cependant, le désir qu'elle exprimait de rentrer chez elle sans passer par un centre de réadaptation était conforme à ce qu'elle avait clairement exprimé de longue date. Il convient d'accorder une attention particulière à une préférence exprimée de manière cohérente. Dans le même temps, les préférences du patient peuvent changer parallèlement à l'évolution de sa situation. Les données de la littérature relatives à la stabilité des préférences des patients au fil du temps, ou en fonction du changement de leur état de santé, sont contrastées, certaines études indiquant une stabilité des préférences,17,18 et d'autres non.19,20

Violation des valeurs du médecin

Au regard des croyances et des valeurs personnelles des médecins, le code d'éthique de l'American College of Physicians stipule que « les médecins et les patients peuvent avoir des conceptions différentes de la signification et de la résolution des problèmes médicaux [É]. Si le médecin se doit de traiter les problèmes des patients, il ne lui est pas demandé de violer des valeurs personnelles fondamentales, des règles de pratique scientifique ou éthique, ni la loiÉ ».21 On pourrait dire que ce point est pertinent dans le cas présent. D'aucuns pourraient cependant arguer que la contribution d'un médecin au renvoi de cette patiente à son domicile, dans une situation précaire, contreviendrait à son devoir professionnel de protection.

Les médecins ne sont pas obligés de violer leurs valeurs personnelles ou les règles de bonne pratique dans le respect du droit à l'autodétermination des patients. Cependant, ils ne doivent pas non plus abandonner les patients. En cas de désaccord irréversible entre le patient et le médecin, ce dernier doit prendre toutes les mesures nécessaires pour permettre une bonne transmission de la prise en charge à un confrère.22 Par ailleurs, les médecins doivent soigneusement déterminer s'il y a réellement conflit avec leurs valeurs personnelles ou professionnelles. Même en cas de désaccord sur l'option retenue, les médecins doivent examiner le bien-fondé du refus des patients afin de les aider à suivre les préférences qu'ils ont exprimées.23

Répondre au refus de soins

Il existe de nombreuses réponses possibles au patient qui refuse les soins recommandés. Dans des cas particulièrement frustrants, certains médecins sont tentés de se dégager et d'accepter la décision du patient par résignation ou parfois même par dépit. Même si cette approche peut sembler plus simple pour les médecins, elle peut ne pas servir au mieux les intérêts du patient. Comme alternative, les médecins peuvent s'opposer au refus et tenter d'imposer le traitement par tous les moyens possibles, notamment par le biais d'actions légales auprès des tribunaux. Dans un cas comme celui de cette patiente, en l'absence de maladie mentale associée à une dangerosité pour elle-même ou pour autrui, les efforts entrepris pour imposer un placement ou un traitement contre la volonté de la malade n'auraient pu être poursuivis que si un tribunal l'avait déclarée incompétente. Une autre possibilité de réponse à un refus de traitement consiste à expliquer le point de vue du médecin au patient, en tentant de le persuader de changer d'avis sans recourir à la manipulation ou à des moyens de coercition.


Encadré. Refus de soins du patient: suggestion d'approche et recommandations

Considérer le refus de traitement comme une opportunité d'initier (ou de continuer) un dialogue avec le patient.

Rechercher et analyser les raisons du refus du patient

Identifier les facteurs inhérents au patient susceptibles de contribuer à son refus (croyances religieuses, milieu socioculturel, facteurs psychosociaux, précédentes interactions avec le système de santé, expériences personnelles déterminantes, préférences des membres de la famille ou des amis)

Déterminer si le refus de soin est conforme aux objectifs exprimés par le patient

Évaluer la capacité du patient à prendre une décision

Déterminer si l'autonomie du patient (refus de soin) et son bien-être peuvent être conciliés

Lorsque les valeurs personnelles ou professionnelles du médecin sont violées, il n'est pas obligé de s'engager, mais doit soigneusement réfléchir à sa décision et aider à la continuité de la prise en charge


Une suggestion d'approche et des recommandations pour aborder le refus de soins sont présentés dans l'Encadré. En présence d'un refus de traitement, les médecins doivent considérer l'opposition comme une occasion d'initier (ou de continuer) un dialogue permettant de comprendre le point de vue du patient. Quels facteurs contribuent à la position du patient et influencent sa prise de décision? Les membres de l'équipe soignante ont-ils considéré et exploré ses croyances religieuses, son milieu socioculturel, les divers facteurs psychosociaux, les précédentes interactions du patient avec le système de santé, ses expériences personnelles déterminantes, ou les préférences des membres de sa famille ou des amis? Le médecin doit en outre déterminer la cohérence du choix du patient vis-à-vis de ses valeurs et de ses objectifs. Le choix proposé est-il compatible avec la réalisation des objectifs exprimés? Est-ce la meilleure option pour atteindre ces objectifs? Une étude approfondie de ces questions pourrait se traduire par une meilleure communication avec le patient et, dans le meilleur des cas, par une prise de décision et une issue plus favorables.24

Dans le cas de Mme A., les soignants ont tenté de mieux comprendre les préférences qu'elle avait exprimées et son refus de suivre les soins recommandés. Après analyse approfondie, il n'est pas apparu que son désir de rentrer chez elle était expliqué par une dénégation des faits essentiels de son état de santé ou par sa situation sociale et financière. Les entretiens avec son neveu ont révélé que l'attitude de Mme A. vis-à-vis des institutions s'expliquait par une période de sa vie où elle était bénévole dans un établissement pour personnes âgées. À cette époque, les diverses visites qu'elle avait dû effectuer dans des maisons de santé avaient fait naître en elle une aversion qui lui avait fait décréter qu'elle ne voudrait jamais y vivre. De l'avis de son neveu, les efforts précédemment réalisés pour lui faire considérer les options de résidence assistée avaient ainsi échoué parce que la patiente pensait que quitter sa maison reviendrait à être placée dans une de ces institutions.


CONCLUSION

Les médecins et le personnel soignant se sont considérablement débattus pour déterminer la bonne ligne de conduite à adopter dans le cas de Mme A. Les médecins hospitaliers, le médecin de soins primaires, les infirmières, les assistantes sociales de l'hôpital et des APS, ainsi que son neveu, étaient tous gravement préoccupés par sa sécurité et son bien-être dans l'éventualité de son retour à domicile, même s'ils souhaitaient tous satisfaire ses désirs. Comme évoqué précédemment, le principal problème résidait dans le fait que son bien-être et ses désirs se révélaient être en conflit direct. Lorsque des valeurs fondamentales sont en contradiction, il peut ne pas y avoir une seule bonne réponse précise. Il arrive même, au contraire, que deux solutions apparaissent (et soient) diamétralement opposées, avec chacune des avantages et des inconvénients d'un point de vue éthique. Dans les cas suscitant des incertitudes quant à la bonne ligne de conduite à suivre, les décisions peuvent s'accompagner de doute et de détresse.

Le comité consultatif d'éthique s'est également débattu pour déterminer la meilleure ligne de conduite à adopter dans ce cas. Le comité multidisciplinaire de 4 membres, avec des représentants du personnel soignant, de l'assistance sociale, de l'administration et du personnel médical, s'est longuement concerté sur ce cas à l'occasion de deux rencontres. Le comité d'éthique qui, au John Hopkins Bayview Medical Center, intervient à titre consultatif, a conclu que si l'équipe médicale pensait la patiente apte à prendre des décisions sur cette question, elle avait alors le droit de décider de rentrer chez elle. Il notait que si en revanche, il existait un doute raisonnable quant à sa capacité de prendre une telle décision, l'équipe médicale aurait alors raison de prendre des mesures pour passer outre son projet de regagner son domicile.

Le comité d'éthique a également suggéré des moyens de concilier le droit à l'autodétermination de la patiente et les problèmes relatifs à son bien-être. Il a proposé un moyen détourné de lui présenter l'information, qui se conformait à son objectif de rentrer chez elle et d'y rester. Ils ont ainsi suggéré de lui dire que ses soins n'étaient pas terminés et qu'elle devait les poursuivre dans un établissement dispensant des programmes de réadaptation et des soins cutanés, afin qu'elle soit dans les meilleures conditions pour regagner ensuite son domicile. Rentrer directement chez elle à sa sortie de l'hôpital risquait de ne pas être le meilleur choix pour réaliser son objectif à long terme, et pouvait même le compromettre.

En outre, au cours de ses entretiens avec les diverses parties concernées par les soins de la patiente, notamment l'assistante sociale des APS, le comité d'éthique a appris la stratégie de l'organisme consistant à demander la couverture maladie au nom de la patiente et a pu transmettre l'information à l'équipe médicale. L'espoir était qu'après avoir passé 30 jours dans un établissement spécialisé, Mme A. aurait droit à l'assurance maladie et pourrait prétendre à 12 heures par jour d'aide à domicile.

Vers la fin de la période d'hospitalisation de Mme A., une réunion a été organisée en présence notamment de la patiente, de membres de l'équipe médicale, d'une assistante sociale, d'un membre du comité d'éthique, et d'un responsable du programme d'assurance maladie Medicaid. La discussion portait sur le statut médical de la patiente, sur la nécessité de poursuivre un traitement dans un autre établissement, et sur la situation financière actuelle de la patiente, dans la mesure où elle était liée à sa capacité à financer une aide à domicile. Les protagonistes des soins se sont efforcés de lui présenter la réadaptation à court terme comme une simple alternative à un placement à long terme dans une maison de santé ou à un transfert direct à domicile. Les personnes réunies ont en outre expliqué à la patiente qu'une demande de couverture maladie serait faite en son nom pour qu'elle puisse payer une aide à domicile lorsqu'elle serait en état de rentrer. Ainsi, le plan de sortie final tentait de respecter son désir de rentrer chez elle, bien que dans un délai différé, mais avec l'espoir qu'elle pourrait y rester plus longtemps que si elle rentrait directement après l'hôpital, confinée au lit et dépourvue d'aide adéquate. C'est à l'issue de cette réunion que la patiente a consenti à être transférée dans un établissement spécialisé pour recevoir des soins cutanés et un programme de réadaptation. Se référant à la patiente, le médecin soignant avait conclu « qu'ils avaient su préserver son autonomie tout en ayant fait leur possible pour une prise en charge optimale. »


ÉPILOGUE

Deux jours après son transfert au centre spécialisé, Mme A. a développé une hémorragie gastro-intestinale aiguë et est devenue hémodynamiquement instable. Elle a été transférée dans un autre établissement de soins de courte durée où elle a été admise en soins intensifs. Elle est décédée quelques jours plus tard.


Informations sur les auteurs

Correspondance: Joseph A. Carrese, MD, MPH, Division of General Internal Medicine, Johns Hopkins Bayview Medical Center, 4940 Eastern Ave, Baltimore, MD 21224 (jcarrese{at}jhmi.edu).

Rédacteurs de la section cas cliniques du Johns Hopkins Hospital: John H. Stone, MD, MPH, Charles Weiner, MD, Stephen D. Sisson, MD, The Johns Hopkins Hospital, Baltimore, Md; David S. Cooper, MD, Rédacteur associé, JAMA.

Liens financiers: aucun déclaré.

Financement/Soutien: le Dr Carrese a bénéficié du soutien de la Morton K. and Jane Blaustein Foundation Inc en tant que Blaustein Scholar of the Phoebe R. Berman Bioethics Institute.

Rôle du sponsor: la Fondation n'a joué aucun rôle dans la préparation, la revue ou l'approbation du manuscrit.

Affiliations des auteurs : Department of Medicine, Johns Hopkins Bayview Medical Center, and Program on Ethics in Clinical Practice, Phoebe R. Berman Bioethics Institute, Johns Hopkins University.


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ARTICLE EN RAPPORT

Le refus de soin: entre bien-être du patient et devoir éthique du médecin: "Mais docteur, je veux rentrer chez moi"
Joseph A. Carrese
JAMA. 2006;296:691-695.
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