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  Vol. 299 No. 11, 19 mars 2008 TABLE OF CONTENTS
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Alcool, dépendance, impact social et sur la santé

Philippe Batel, MD, PhD

Les questions cliniques, diagnostiques et thérapeutiques posées par l’observation rapportée par Le Dr Delbanco d’un homme de 74 ans présentant une consommation inappropriée d’alcool et des troubles neurologiques organiques, fonctionnels et invalidants sont remarquablement discutées par John Brust. Cette histoire illustre merveilleusement plusieurs aspects complexes des troubles de l’alcoolisation, des mécanismes de leur mise en place et de leur imputabilité difficilement évaluable dans la survenue et le maintien de certaines pathologies. La discussion du Pr Brust est parfaitement argumentée et documentée. Quelques points méritent toutefois d’être soulignés.

La multiplicité des alcoolopathies de ce buveur social tout d’abord. Il présente conjointement 1) une hypertension artérielle ancienne dont aucune cause cardiogénique ou rénale ne semble avoir été mise en évidence. L’association de ces HTA dites idiopathiques avec une consommation excessive d’alcool a été rapportée dans des enquêtes cas-témoins. 2) des troubles neurologiques centraux et périphériques, symptômes principaux de cet homme sont probablement d’origine alcoolique 3) une probable alcoolopathie relationnelle enfin que la mention par le patient lui-même d’une inquiétude de son entourage pour sa consommation d’alcool laisse entendre. 4) fonctionnelle enfin avec un ralentissement des fonctions cérébrales et divers symptômes physiques et psychiques invalidants et impactants la qualité de vie. Pourtant, le bilan hépatique est normal ainsi que le VGM, marqueur classiquement utilisé pour le repérage de la consommation excessive. Ainsi, le risque de la consommation d’alcool de ce patient sur sa santé aurait pu passer inaperçu si celui-ci avait été effectué au moyen d’une biologie qui reste peu efficace pour le repérage de l’usage à risque ou de l’usage nocif d’alcool. Seule l’évaluation de la consommation déclarée d’alcool, ici rapportée par le patient entre 21 et 28 unités (verres) par semaine était un bel indicateur de la notion de risque, car supérieur à celui des recommandations de l’OMS pour un homme (< 21 unités par semaine).

Le diagnostic alcoologique. Un autre test de dépistage simple et utilisable en médecine de premier recours aurait pu être utilisé pour repérer en dehors de toute identification de symptômes d’alcoolopathies un trouble de l’alcoolisation : le DETA. Ce questionnaire en quatre questions simples passées en auto ou hétéro questionnaire a une sensibilité et une spécificité acceptables (respectivement 85% et 92%) pour le repérage de l’usage nocif.

Avez-vous déjà ressenti la nécessité de Diminuer votre consommation d’alcool ?
Votre Entourage vous a-t-il fait des réflexions à propos de votre consommation d’alcool ?
Avez-vous déjà eu le sentiment que vous buviez Trop ?
Avez-vous déjà eu ressenti le besoin de boire de l’Alcool dès le matin pour vous sentir en forme ?

Le test est positif si au moins deux réponses sont affirmatives. La pertinence de ce questionnaire de dépistage peut être reconnue dans cette observation, car, dans le paragraphe consacré à la vision du patient de sa propre situation, il évoque sa consommation d’alcool en répondant spontanément positivement à toutes les questions. Ainsi, le patient fait lui même le diagnostic d’un usage nocif d’alcool. Quelle que soit l’imputabilité de la consommation dans l’origine des troubles neurologiques, des troubles cognitifs et de l’hypertension artérielle ; la clinique comportementale de l’alcoolisation est en faveur d’un usage nocif. La notion de dépendance est, comme toujours en alcoologie, plus délicate à appréhender. Les déclarations de Monsieur E. évoquent une perte de contrôle de sa consommation mais aussi une inefficacité des tentatives de réduire sa consommation ce qui est en faveur d’une dépendance psychique et comportementale. Notons toutefois l’absence de dépendance physique. Contrairement à une idée reçue, cette composante n’est pas nécessaire au diagnostic d’alcoolo-dépendance, plusieurs estimations nous indiquent que plus de la moitié des alcoolo-dépendants n’ont pas de dépendance physique rendant inutile chez eux la prescription de benzodiazépines au moment du sevrage.

Les caractéristiques évolutives de cette alcoolo-dépendance peuvent apparaître aussi particulières par son émergence tardive, à l’âge de la retraite. Pourtant, le phénomène est désormais bien identifié dans cette population à risque des catégories professionnelles supérieures avec un niveau élevé de stress et/ou de responsabilité. Ce syndrome d’alcoolo-dépendance du jeune retraité survient généralement dans les cinq ans qui suivent la période de cessation d’activité et viens généralement décompenser un usage nocif dont les dommages notamment sociaux et relationnels sont restés longtemps masqués par le niveau de responsabilité. Il s’accompagne généralement d’une symptomatologie dépressive et d’une involution (au moins subjectives) des fonctions intellectuelles dont il est souvent difficile de savoir si elles ne sont que relatives due à la diminution des stimuli intellectuels, d’origine dépressive ou dégénérative.

Enfin nous pouvons faire deux suggestions dans la stratégie de prise en charge de ce patient. Si la proposition d’évaluer les déficits et désordres cognitifs à l’aide du score au MMSE est une excellente suggestion, il apparaît important de ne réaliser celle-ci qu’en période d’abstinence en l’absence de traitement psychotrope.

Référer le patient à un groupe d’entraide et l’encourager à participer au mouvement Alcooliques Anonymes est une habitude américaine car cette approche reste dominante dans ce pays. Elle prend cependant le risque d’engendrer une situation de rejet car cette organisation a une vocation à promouvoir une abstinence définitive à laquelle ce patient ne semble pas, à ce stade être prêt. Quelques séances d’entretiens motivationnels réalisés par un thérapeute formé à cette technique aurait sans doute permis à Mr E. de vaincre ses résistances à changer.

Les commentaires dans le JAMA-français représentent l’opinion des auteurs et du JAMA-français, mais non pas celle de l’American Medical Association.


Informations sur les auteurs

Correspondance : Philippe Batel, MD, PhD, Psychiatre-Addictologue, Unité de Traitement Ambulatoire des Maladies Addictives (UTAMA),Hôpital Beaujon 100, Boulevard du Général Leclerc 92110 Clichy Cedex France. Tel 33 1 40 87 52 96 ; Fax 33 1 40 87 58 42. Assistante : Régine Brunaud 33 1 40 87 58 82 Email : philippe.batel{at}bjn.aphp.fr

Liens financiers : Philippe Batel a reçu une compensation financière pour ce commentaire sous la forme d’honoraires versés par HMPublications Group.

Affiliations des auteurs : Philippe Batel, MD, PhD. Unité de Traitement Ambulatoire des Maladies Addictives (UTAMA) Hôpital Beaujon 100, Boulevard du Général Leclerc, 92110 Clichy Cedex, FRANCE

Pour l'article original voir p 1046.


ARTICLE EN RAPPORT

Un buveur de 74 ans avec perte de mémoire et neuropathie
John C. M. Brust
JAMA. 2008;299:1046-1054.
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