PRÉSENTATION DU CAS
DR PAGE : Monsieur R. a été adressé à un
service de maladies infectieuses, à la suite de la découverte
fortuite d'une hyperéosinophilie lors de tests biologiques de routine.
Monsieur R., vous souvenez-vous de la raison de votre orientation dans ce
service?
M. R. : Lors d'une visite chez mon médecin traitant pour un
bilan, des anomalies ont été trouvées dans ma
numération sanguine. Au cours des mois suivants, j'ai effectué
deux nouveaux bilans sanguins, et ces anomalies persistaient ; alors mon
médecin m'a envoyé au service de maladies infectieuses.
DR PAGE : Présentiez-vous des symptômes ?
M. R. : Non, pas vraiment. Je travaillais et je ne voulais pas aller
voir un spécialiste ; mais mon médecin m'en a parlé
plusieurs fois, alors j'ai fini par le faire.
DR PAGE : Donc vous vous sentiez bien et n'étiez pas trop
inquiet des alarmes de votre médecin ?
M. R. : Au début, non ; mais quand elle m'a dit que j'avais
peut-être des vers, j'ai commencé à me poser des
questions, et j'ai décidé de faire quelque chose.
DR PAGE : De quel pays venez-vous ?
M. R. : De Guyane, en Amérique du Sud.
DR PAGE : Quand êtes-vous arrivé aux
États-Unis?
M. R. : Il y a quatre ans.
DR PAGE : Êtes-vous retourné en Amérique du Sud
depuis?
M. R. : Oui, j'y retourne tous les ans.
DR PAGE : Vous êtes-vous rendu dans un autre pays, en dehors
des États-Unis et de la Guyane ?
M. R. : J'ai vécu en Guyane jusqu'à l'âge de 18
ans, puis je suis parti au Suriname, et j'y suis resté jusqu'à
il y a 4 ans.
DR PAGE : Viviez-vous en ville ou en milieu rural ?
Encadré 1. Infestations parasitaires associées à
l'hyperéosinophilie
Strongyloïdiose
Filariose
Ankylostomiase
Schistosomiase
Trichinellose
Pneumonie ascaridienne
Larva migrans viscérale (Toxocara canis ou Toxocara cati)
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M. R. : Essentiellement en milieu rural. J'ai travaillé
pendant 24 ans dans une plantation de bananes.
DR PAGE : Lorsque vous étiez en Amérique du Sud,
avez-vous été malade ou hospitalisé ?
M. R. : Non, j'étais en bonne santé et je
travaillais.
DR PAGE : Depuis que vous êtes arrivé aux
États-Unis, avez-vous eu de la fièvre, une toux ou des
diarrhées ?
M. R. : Non, rien de tout cela.
DR PAGE : Et des rashs ou des signes de fatigue ?
M. R. : Pas de rash, mais je suis toujours un peu fatigué
parce que j'ai 2 emplois.
Dr Page : Quel emploi exercez-vous ?
M. R. : Je travaille à la blanchisserie de
l'hôpital.
DR PAGE : En résumé, M. R. est un homme de 49 ans,
originaire de Guyane, qui présente une hyperéosinophilie et des
bilans essentiellement négatifs. Son examen physique à la
consultation était normal, et la seule observation notable était
son hyperéosinophilie. Il avait un nombre de leucocytes de 9 700/µL,
avec 50 % de neutrophiles, 26 % de lymphocytes, 6 % de monocytes, et 18 %
d'éosinophiles. Son nombre absolu d'éosinophiles était de
1 740/µL. Ses autres résultats biologiques, incluant les enzymes
hépatiques et la créatininémie sérique,
étaient normaux. Ses précédentes analyses biologiques
indiquaient que son hyperéosinophilie était présente
depuis au moins 1 an.
DISCUSSION
L'éosinophilie périphérique est souvent
découverte fortuitement lors d'examens biologiques de routine chez les
immigrants ou les voyageurs. Une majorité de ces patients est
asymptomatique, et l'examen parasitologique des selles de routine n'est pas
évocateur. Même si l'évaluation de
l'hyperéosinophilie chez les immigrants ou les voyageurs peut sembler
ardue pour les cliniciens peu familiarisés avec les maladies
parasitaires, la plupart des cas peuvent être correctement
diagnostiqués et traités avec un interrogatoire minutieux et une
évaluation orientée. Il existe de nombreux outils d'information,
notamment le site Internet sur la médecine des voyageurs
(http://cdc.gov/travel/default.aspx)
des Centers for Disease Control and Prevention (CDC), qui constitue une mine
d'informations pour les cliniciens, permettant d'établir une
corrélation entre le lieu du voyage, les maladies/organismes
spécifiques, et les modes d'exposition.
Définition et étiologie
L'hyperéosinophilie, définie par un nombre absolu
d'éosinophiles d'au moins 500/µL de sang, peut être primaire,
secondaire, ou
idiopathique.1
L'éosinophilie primaire est causée par l'augmentation des
éosinophiles dans le cadre de malignités hématologiques
comme la leucémie aiguë et la mastocytose. Les patients avec une
leucémie aiguë à éosinophiles présentent
généralement des symptômes associés à la
pancytopénie incluant fatigue, infections, et hémorragies. Les
patients avec une mastocytose systémique peuvent présenter une
éosinophilie périphérique et des manifestations de
prolifération et d'infiltration mastocytaires, comme une
hépatomégalie, une splénomégalie, des
lésions cutanées, et des anomalies hématologiques. Les
syndromes hyperéosinophiliques sont des troubles
caractérisés par un nombre absolu d'éosinophiles
supérieurà 1 500/µL pendant plus de 6 mois, entraînant
une atteinte des organes cibles liée à l'infiltration du coeur,
des poumons, de la peau ou du tissu nerveux. Bien que la majorité des
syndromes hyperéosinophiliques soit idiopathique, un sous-groupe de cas
pourrait avoir une base moléculaire
définie.2 Un
examen de la moelle osseuse à la recherche d'une malignité
hématologique et une analyse cytogénétique doivent
être effectués chez les patients avec une éosinophilie
périphérique associée à une pancytopénie ou
à des signes d'atteinte des organes cibles.
L'éosinophilie secondaire peut être causée par diverses
affections, incluant les troubles allergiques, l'insuffisance
surrénale, les réactions indésirables aux
médicaments, les maladies auto-immunes, et les infections. À
l'exception des infections helminthiques, les causes secondaires de
l'hyperéosinophilie induisent rarement un nombre absolu
d'éosinophiles supérieur à 1 500/µL. En de rares cas,
une atteinte des organes cibles survient chez les patients avec un nombre
absolu d'éosinophiles supérieur à 3 000/µL, en
présence d'infections parasitaires chroniques.
Causes infectieuses de l'hyperéosinophilie
Les maladies parasitaires sont responsables de la plupart des cas
d'éosinophilie due à une infection. Plusieurs maladies
infectieuses non parasitaires sont parfois associées à
l'éosinophilie et doivent être
envisagées.3
Le dérèglement des réponses Th1 chez les patients
infectés par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) peut
parfois exacerber les troubles allergiques.4 Les affections dermatologiques
liées au VIH, comme la folliculite à éosinophiles, la
dermatose atopique, et le prurigo nodulaire de Hyde, peuvent être
associées à une hyperéosinophilie dans le sang
périphérique.4
L'hyperéosinophilie chez les patients infectés par le VIH peut
également résulter de réactions aux médicaments
anti-VIH, notamment les sulfamides et les inhibiteurs non
nucléosidiques de la transcriptase inverse. L'insuffisance
surrénale due à une infection à cytomégalovirus,
Histoplasma, Cryptococcus, ou Mycobacteria, peut induire une
hyperéosinophilie chez les patients VIH. L'hyperéosinophilie est
rare avec la tuberculose, mais peut être trouvée en cas
d'atteinte surrénale ou de réactions indésirables aux
médicaments chez les patients infectés et non infectés
par le VIH. L'hyperéosinophilie sanguine périphérique a
été rapportée dans des cas de
coccidioïdomycose,5,6
mais ceci reste inhabituel.
Les cliniciens exerçant dans des régions où les
parasitoses sont rares peuvent ne pas être familiarisés avec
l'exploration et les manifestations de ces maladies ; cependant, plusieurs
informations utiles peuvent guider l'évaluation diagnostique.
L'hyperéosinophilie est généralement associée
à des infections helminthiques, mais pas à des protozooses
communes comme celles dues à Giardia lamblia et Entamoeba
histolytica.7
L'hyperéosinophilie du sang périphérique survient pendant
la phase d'invasion tissulaire du cycle de développement des
helminthes. En conséquence, les helminthes comme les ténias ou
les ascaris adultes n'induisent une hyperéosinophilie
périphérique que pendant la phase de migration, et non pendant
la phase
intestinale.7 Les
helminthes qui sont séquestrés antigéniquement dans le
tissu, comme dans les kystes échinococciques intacts, peuvent provoquer
une éosinophilie tissulaire localisée, mais ne sont pas
associés à une éosinophilie sanguine
périphérique, sauf en cas de perturbation de la
séquestration ou de rupture du
kyste.1 Le nombre
d'éosinophiles atteint généralement un pic au cours du
stade précoce de l'infection parasitaire, lorsque l'invasion tissulaire
et la migration larvaire sont à leur maximum. Les parasites
associés à l'éosinophilie la plus élevée
sont indiqués dans l'ENCADRÉ
1.7
L'interrogatoire et l'examen physique sont essentiels dans
l'évaluation initiale du voyageur ou de l'immigrant présentant
une hyperéosinophilie. Les principaux éléments de
l'interrogatoire incluent le lieu du voyage
(TABLEAU), la longueur du
séjour, le temps passé en zones rurales, l'adhésion aux
mesures de précautions relatives aux aliments et à l'eau
consommés, le contact avec les animaux, les conditions
d'hébergement, et l'exposition aux sols et aux eaux souillés. Il
est également important d'obtenir une histoire médicamenteuse
exhaustive, dans la mesure où de nombreux voyageurs prennent des
antibiotiques sans prescription, et où les réactions allergiques
aux sulfamides, aux tétracyclines, et aux bêtalactamines sont
fréquentes. Le risque de parasitose est très inférieur
chez les voyageurs comparés aux indigènes des zones
d'endémie, qui ont été exposés toute leur vie
à de fortes charges parasitaire. La prévalence des parasitoses
chez les immigrants avec éosinophilie s'échelonne de 70 %
à 95
%8-10
comparé à 14 % à 40 % chez les
voyageurs.11-14
Les voyageurs qui effectuent de brefs séjours en zones urbaines et
adhèrent aux mesures de précautions alimentaires
présentent un faible risque d'infections parasitaires.
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Tableau.. Parasites associés à l'hyperéosinophilie et atteinte
organique spécifique
a Généralement diagnostiqué à
l'examen parasitologique des selles.
b Peut être associé à un rash
transitoire.
c Test sérologique disponible aux Centers for Disease
Control and Prevention (CDC).
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Encadré 2. Recherche de parasites chez les patients
asymptomatiques avec hyperéosinophilie
Évaluation initiale
Numération globulaire avec formule leucocytaire manuelle
Tests de la fonction hépatique
Test anticorps anti-virus de l'immunodéficience humaine
Examen des urines
Examen parasitologique (3 prélèvements)
En fonction du lieu du séjour, envisager examen sérologique
pour :
Schistosomiase
Filariose
Strongyloïdiose
Bilan négatif
Éosinophilie absolue 3 000/µL : dosage des
éosinophiles tous les 3-6 mois vs traitement empirique par
albendazole
Éosinophilie absolue > 3 000/µL ou > 1 500/µL pendant
> 6 mois : évaluation hématologique, orientation vers un
centre de parasitologie spécialisé
Abrévation : nombre absolu d'éosinophiles
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Les aliments à haut risque incluent le porc, l'ours blanc, le
coyote, le loup, l'ours noir, et d'autres carnivores qui peuvent causer des
trichinelloses. Dans l'ensemble des pays en développement, les fruits
non pelés, les légumes crus, et l'eau souillée peuvent
être contaminés par divers helminthes comme Ascaris, Trichuris,
et Fasciola. Dans le Sud-Est asiatique, le poisson cru et les fruits de mer
peuvent causer des infections dues à Angiostrongylus, Clonorchis,
Opisthorchis, Anisakis, Capillaria, Heterophyes, et Paragonimus (souvent
trouvé dans le « crabe mariné »).
Les autres facteurs d'exposition pertinents incluent la baignade en eau
douce dans les zones d'endémie, qui constitue un facteur de risque de
bilharziose. Le fait de marcher pieds nus ou de s'étendre sur la plage
ou à même le sol peut donner suite à une infection
à ankylostome ou à une strongyloïdiose. Les piqûres
d'insectes peuvent transmettre Wuchereria bancrofti et Brugia malayi, qui sont
susceptibles de provoquer une filariose lymphatique ou un poumon
éosinophile tropical. Les autres infestations filariennes communes
incluent Onchocerca volvulus, responsable de l'onchocercose, et Loa loa, qui
est généralement asymptomatique mais peut se manifester par un
oedème de Calabar ou une atteinte sous-conjonctivale au cours de la
migration du ver
adulte.15 Il est
également important d'évaluer les facteurs de risque
comportementaux associés à l'infection à VIH, et de
recueillir un historique complet des antécédents
médicamenteux et allergiques.
Un examen physique complet doit être effectué, en insistant
particulièrement sur la peau, les tissus mous, le foie, et la rate. Des
éruptions transitoires peuvent être retrouvées dans
diverses parasitoses comme la larva migrans cutanée (ankylostomiase),
la loase, la fasciolase, la gnathostomose, la paragonimiase, la toxocarose, et
la strongyloïdiose. Les rashs peuvent survenir au site d'infection
pendant l'exposition initiale ou pendant la migration larvaire, des mois
à des années après l'infection.
L'hépatomégalie ou une douleur dans le quadrant supérieur
droit de l'abdomen peuvent suggérer une larva migrans viscérale
ou une douve du foie. Les patients avec une schistosomiase chronique peuvent
présenter des complications vésicales ou une
splénomégalie massive, une hypertrophie du lobe gauche du foie,
et une ascite due à une hypertension portale. Ces infections peuvent se
rencontrer dans les pays développés chez des immigrants ayant
quitté une zone d'endémie depuis plusieurs années.
Certaines données obtenues lors de l'interrogatoire et de l'examen
clinique permettent de guider l'élaboration du diagnostic
(Tableau). Les patients
présentant des symptômes pulmonaires doivent subir une
radiographie thoracique, ainsi qu'un examen parasitologique des expectorations
à la recherche d'œufs de Paragonimus, de larves de Strongyloides,
ou de larves
d'Ascaris.7 La
filariose à B malayi ou, plus rarement, à W bancrofti, peut
causer une éosinophilie pulmonaire tropicale caractérisée
par une toux paroxystique, une respiration sifflante, de la fièvre, et
une hyperéosinophilie. La méningite à éosinophiles
chez un patient de retour d'Asie du Sud-Est est évocatrice d'une
angiostrongylose ou, plus rarement, d'une
gnathostomose.16
Les patients revenant d'Amérique latine ou du sud-ouest des
États-Unis avec une méningite à éosinophiles ou
des symptômes pulmonaires avec éosinophilie
périphérique doivent effectuer un test sérologique pour
le dépistage de la coccidioïdomycose. Une biopsie musculaire ou un
dépistage sérologique de Trichinella doivent être
envisagés chez les patients présentant des myalgies ou un
oedème périorbitaire.
Explorations diagnostiques pour les patients asymptomatiques avec éosinophilie
La majorité des patients présentant une éosinophilie
sont asymptomatiques et ont des résultats normaux à l'examen
physique. L'évaluation biologique initiale doit inclure une
numération formule sanguine avec une formulation leucocytaire manuelle
pour confirmer l'éosinophilie et évaluer sa
sévérité, un dosage des enzymes hépatiques, et un
test sérologique VIH. Un examen des urines doit être
effectué pour rechercher une éventuelle hématurie
microscopique, qui peut constituer un premier signe d'infection à
Schistosoma haematobium. Des échantillons de selles doivent être
examinés pour rechercher la présence d'oeufs et de parasites
(ENCADRÉ
2).3
L'examen parasitologique des selles, qui est un test de première
ligne dans l'évaluation des maladies parasitaires, est
extrêmement utile pour diagnostiquer les parasitoses du tractus
gastro-intestinal (Tableau).
Cependant, ce test a une faible sensibilité -20 % avec 1
échantillon et 50 % avec 3 échantillons prélevés
un jour sur deux.8
L'examen des selles à l'état frais, la concentration par
sédimentation au formol-acétate d'éthyle, et les
évaluations effectuées par un laboratoire
spécialisé dans les maladies parasitaires peuvent
significativement améliorer le rendement diagnostique.
Cependant, les infections ayant une faible charge parasitaire au niveau
gastro-intestinal, comme Strongyloides et Schistosoma, sont rarement
détectées à l'examen parasitologique de routine. Pour
certaines maladies parasitaires, comme la filariose, la maladie de Chagas, et
l'échinococcose, les examens des selles n'ont aucune utilité,
dans la mesure où leurs parasites n'ont pas de phase intestinale. En
conséquence, le bilan des patients asymptomatiques avec
éosinophilie et examens parasitologiques des selles
systématiquement négatifs repose sur les études
sérologiques. Des tests sérologiques hautement sensibles sont
disponibles pour diverses maladies parasitaires incluant la
strongyloïdiose, la filariose, la schistosomiase, l'échinococcose,
la cysticercose (Taenia solium), la trichinellose, la maladie de Chagas
(Trypanosoma cruzi), et la larva migrans viscérale (Toxocara canis ou T
cati). Parmi ces infections, la strongyloïdiose, la filariose et la
schistosomiase sont les plus susceptibles d'être associées
à l'éosinophilie périphérique chez les immigrants
asymptomatiques originaires d'Amérique latine, d'Afrique, et d'Asie.
L'infection à T canis ou T cati peut induire une
hyperéosinophilie significative, mais est généralement
contractée localement et survient essentiellement chez les enfants qui
ingèrent de la terre contaminée par des oeufs d'ascaris de chien
ou de chat. La maladie de Chagas, l'échinococcose, et la cysticercose
ne sont généralement pas associées à une
éosinophilie périphérique significative, et la
trichinellose produit rarement une infection asymptomatique.
Les tests sérologiques pour le dépistage de la
schistosomiase, de la strongyloïdiose, et de la filariose
n'établissent pas de distinction entre l'infection passée et la
maladie présente ou active. Cependant, les patients ayant une
sérologie positive pour ces infections doivent être
traités, dans la mesure où le traitement est simple et
généralement dépourvu d'effets indésirables, et
où l'infection chronique peut avoir de graves répercussions
à long terme. La filariose lymphatique peut causer une
hydrocèle, un lymphoedème, ou un éléphantiasis
défigurants. La schistosomiase peut induire une hypertension portale ou
un cancer de la vessie, et la strongyloïdiose un syndrome
d'hyperinfection létal chez les hôtes
immunodéprimés. Des procédures endoscopiques peuvent
être utilisées pour obtenir des biopsies duodénales pour
le dépistage de Strongyloides ou des échantillons rectaux pour
la recherche de Schistosoma ; cependant, compte tenu de la sensibilité
élevée des tests sérologiques, ces procédures
invasives sont rarement nécessaires.
Les tests anticorps pour Schistosoma et Strongyloides ont une
spécificité élevée et une sensibilité
supérieure à 95
%.17,18
De nouveaux tests pour Filaria, qui détectent les anticorps IgG4 contre
W bancrofti et B malayi, ont une sensibilité supérieure à
90
%.19,20
La valeur prédictive négative des tests sérologiques pour
ces infections parasitaires est excellente, ce qui permet d'exclure
effectivement l'infection en cas de résultat négatif. Dans les
pays en développement, un test de détection antigénique
rapide spécifique et hautement sensible pour le diagnostic de W
bancrofti (test immunochromatographique) est disponible. Ce test simple est
communément utilisé dans les programmes d'élimination de
la filariose lymphatique, parce qu'il peut être réalisé
avec un prélèvement sanguin capillaire et
interprété sur le
terrain.21,22
Aux États-Unis, les tests sérologiques pour le
dépistage des maladies parasitaires peuvent être effectués
dans différents laboratoires privés. Cependant, la
majorité de ces tests utilisent des réactifs internes qui n'ont
pas été validés. En outre, les laboratoires privés
sont parfois spécialisés dans l'étude d'une espèce
(par exemple pour détecter Schistosoma mansoni mais pas Schistosoma
haematobium). En conséquence, les résultats inattendus obtenus
dans ces laboratoires doivent être confirmés. La Division des
maladies parasitaires (DPD) du CDC est un laboratoire de
référence qui peut fournir une aide dans les examens
sérologiques des parasitoses rarement observées aux
États-Unis (Tableau).
L'examen sérologique pour les filaires peut être
réalisé au laboratoire des maladies parasitaires des National
Institutes of Health (NIH). En général, le traitement de ces
examens nécessite 2 à 3 semaines.
Prise en charge de l'éosinophilie
Les patients recevant un diagnostic de parasitose doivent être
traités avec le médicament approprié. Cependant, de
nombreux patients avec une éosinophilie asymptomatique restent non
diagnostiqués malgré une évaluation adéquate avec
examens des selles et test sérologique. La plupart de ces patients
peuvent être suivis conservativement pendant 3 à 6 mois dans
l'attente d'une résolution spontanée de
l'hyperéosinophilie. Les patients avec une élévation
persistante des éosinophiles doivent effectuer des analyses sanguines
répétées, ainsi que des examens des selles et des urines.
Le traitement empirique par albendazole peut être envisagé pour
une ankylostomiase
occulte.3 Les
patients avec un nombre absolu d'éosinophiles supérieur à
3 000/µL ou supérieur à 1 500/µL pendant plus de 6 mois
présentent un risque d'atteinte des organes cibles due à une
infiltration éosinophilique ; ils doivent être examinés
par un hématologue et orientés vers un centre
spécialisé en médecine tropicale.
Résolution du cas
Comment ces informations peuvent-elles aider à évaluer le cas
présenté ? Monsieur R. était asymptomatique et
présentait une éosinophilie persistante, des premiers
résultats biologiques normaux, un résultat négatif au
test VIH, et 3 examens parasitologiques des selles négatifs. Il est
originaire de Guyane, où la strongyloïdiose et la filariose
lymphatique sont
endémiques.23
Monsieur R. a été adressé au Laboratoire des maladies
parasitaires des NIH, qui a retrouvé Strongyloides dans ses selles.
Monsieur R. avait également un test sérologique positif pour
Strongyloides (effectué au CDC) et un résultat
sérologique négatif pour les infections filariennes. Il a
été traité par 2 doses d'ivermectine, et son
hyperéosinophilie s'est résorbée dans les 6 mois.
Strongyloïdiose
Strongyloides est endémique dans une grande partie de
l'Amérique latine, en Afrique centrale, en Inde, en Asie du Sud-Est, et
dans le nord de l'Australie. Des cas sporadiques ont été
rapportés en
Europe24 et aux
États-Unis.25,26
Les personnes immunocompétentes sont généralement
asymptomatiques et présentent une hyperéosinophilie, comme
c'était le cas pour Monsieur R. En revanche, les personnes
immunodéprimées sont à risque de syndrome
d'hyperinfestation, de dissémination, et de choc septique.
Le cycle de vie de Strongyloides
(FIGURE) illustre 2
caractéristiques cliniquement majeures de ce parasite, l'auto-infection
et la persistance. Strongyloides est le seul parasite helminthique
cliniquement majeur qui peut effectuer l'intégralité de son
cycle de vie dans un hôte humain. L'infection débute par la
pénétration de la larve filariforme infectante dans la peau. La
larve migre par voie hématogène dans les poumons, d'où
elle passe dans l'arbre trachéobronchique et est déglutie. Les
larves femelles envahissent la muqueuse intestinale et déposent des
oeufs qui libèrent des larves rhabditoïdes. La majorité des
larves rhabditoïdes sont excrétées dans les fèces,
mais un faible pourcentage se transforme en larves filariformes qui peuvent
envahir le côlon et réinfecter l'hôte. Ce cycle de
maturation et d'auto-infection à l'intérieur de l'hôte
induit une infection persistante qui peut durer des dizaines
d'années.18
|
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Figure.. Cycle de vie de Strongyloides stercoralis
Examens diagnostiques à envisager: Étape
, examen des expectorations
ou lavage broncho-alvéolaire pour recherche de larves filariformes;
Étape , examen
parasitologique des selles à la recherche de larves rhabditiformes (4
semaines post-infection). L'examen sérologique peut être
diagnostique à tout moment après l'infection initiale.
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La majorité des patients ne présentent pas de symptômes
spécifiques associés à la strongyloïdiose, qui est
souvent chronique mais non reconnue dans les populations d'immigrants.
Néanmoins, la migration larvaire peut produire des manifestations
cliniques spécifiques. La larva currens, qui se traduit par un rash
serpigineux prurigineux dans la région périanale, est
pathognomonique de la strongyloïdiose mais est rarement retrouvée
à l'examen physique, en raison de son caractère
transitoire.27
Cependant, lors d'un interrogatoire approfondi, certains patients avec
strongyloïdiose se rappellent avoir développé une
éruption transitoire périanale prurigineuse à un moment
donné. L'infection du tractus gastro-intestinal peut causer des
symptômes non spécifiques comme des nausées, des selles
molles par intermittence, et des diarrhées chroniques. La migration
pulmonaire transitoire peut produire une toux sèche et, plus rarement,
une hémoptysie. Les patients avec une invasion pulmonaire
récidivante chronique du parasite peuvent présenter une
pneumopathie inflammatoire récidivante, des symptômes à
type d'asthme, voire une insuffisance respiratoire.
Comme avec d'autres infections parasitaires chroniques, une
éosinophilie normale n'exclut pas l'infection. Dans une étude,
une éosinophilie normale a été trouvée chez 12 %
des voyageurs de retour avec strongyloïdiose, 35 % des patients avec
filariose, et 55 % des patients avec
schistosomiase.14
La présence d'hyperéosinophilie peut être encore moins
sensible chez les personnes originaires de zones d'endémie parasitaire,
dont la réponse éosinophilique peut être
régulée négativement par l'exposition à long
terme.28 Une
proportion significative de réfugiés originaires d'Afrique et
d'Asie avec hyperéosinophilie asymptomatique et examens des selles
négatifs ont des résultats sérologiques positifs pour
Strongyloides (39 %-85 %), filaria (30 %-51 %), et
Schistosoma ( 20
%).8-10
La prévalence de ces infections chez les immigrants sans
hyperéosinophilie n'est pas connue, mais pourrait être
substantielle. Dans une étude de de réfugiés asiatiques
avec strongyloïdiose, 30 % avaient une éosinophilie
normale.2
Chez les hôtes immunodéprimés, le syndrome
d'hyperinfestation peut survenir avec des cycles répétés
d'auto-infection, qui induisent une dissémination du parasite dans les
poumons, le foie, le cœur, et le système nerveux
central.30 Un
syndrome septique peut résulter d'une amplification de la
réponse des cytokines et des chimiokines à l'invasion tissulaire
du parasite. Les patients avec Strongyloides sont également à
risque de bactériémie à germes Gram négatif
récidivante ou, plus rarement, de candidémie due à la
rupture de la barrière gastrointestinale au cours de la migration
larvaire.30 Le
principal facteur de risque de syndrome d'hyperinfestation est l'exposition
aux
corticostéroïdes.30-32
Les autres facteurs de risque incluent la
chimiothérapie,31
la co-infection par le virus T-lymphotrope humain de type 1
(HTLV-1),33-34
l'hypogammaglobulinémie,35
et l'utilisation d'inhibiteurs du
TNF-alpha.36 Le
syndrome d'hyperinfestation a parfois été associé
à l'infection à VIH, mais la strongyloïdiose ne constitue
pas une infection opportuniste majeure chez les patients
VIH.30,37
Le pronostic des patients avec un syndrome d'hyperinfestation est
péjoratif, dans la mesure où il affecte
généralement des personnes ayant des comorbidités
sévères. Le taux de mortalité chez les patients
hospitalisés avec hyperinfestation à Strongyloides est
d'environ 17
%.38
L'examen sérologique permet de détecter la présence de
Strongyloides. Dans la mesure où un faible nombre de larves
Strongyloides est éliminé dans les selles, l'examen
parasitologique des selles conventionnel a une faible sensibilité,
même s'il est
répété.3
La sensibilité peut être améliorée par des
techniques de concentration ou par la culture sur gélose, mais ces
techniques prennent du temps et ne sont effectuées que dans des
laboratoires
spécialisés.8
En revanche, la sensibilité du test sérologique des CDC est
supérieure à 95
%.18 Chez les
hôtes immunodéprimés, la sensibilité diminue
à environ 70
%.40 Le test a une
valeur prédictive négative supérieure à 95 %, de
sorte qu'un résultat sérologique négatif permet d'exclure
le diagnostic. Les sensibilités publiées pour les tests
sérologiques disponibles dans le commerce varient de 83 % à 93
%, avec une spécificité supérieure à 95
%.41 Cependant, ces
tests utilisent différentes préparations d'antigène et
peuvent ne pas être fiables. En conséquence, les résultats
obtenus par un laboratoire doivent être confirmés par un autre
laboratoire indépendant. La Division des maladies parasitaires du CDC
est un laboratoire de référence pour le test sérologique
pour Strongyloides. Les cliniciens et les personnels de laboratoire
peuvent obtenir une aide au diagnostic auprès de leur service de
consultation
(http://dpd.cdc.gov/dpdx).
Le traitement par 2 doses d'ivermectine (200 µg/kg) guérit plus
de 95 % des cas ; en revanche, l'albendazole (400 mg deux fois par jour
pendant 3 jours) présente une efficacité moindre (taux de
guérison de 78
%).42,43
Certains experts recommandent l'administration des 2 doses d'ivermectine
à 2 semaines d'intervalle pour accorder le temps nécessaire
à la migration des formes à localisation tissulaire qui ne
répondent pas à l'ivermectine dans
l'intestin.43 Les
échecs thérapeutiques sont plus fréquents chez les
patients immunodéprimés, et certains experts recommandent des
cures plus longues dans cette population. Des examens sérologiques
sériés peuvent être utilisés pour évaluer la
réponse thérapeutique, dans la mesure où le titre des
anticorps diminue généralement dans les 6 mois de
traitement.8,18,44-46
L'hyperéosinophilie peut prendre plusieurs mois à se
résorber, mais sa persistance 6 mois après traitement
suggère une autre étiologie ou un échec
thérapeutique généralement lié à une
non-observance au schéma
prescrit.7,18
Bien qu'il n'y ait pas de recommandations de référence pour
le dépistage des patients à haut risque de strongyloïdiose,
il semble raisonnable de dépister les patients à haut risque de
syndrome d'hyperinfestation. Les patients ayant une hyperéosinophilie
inexpliquée ou originaires de zones d'endémie
(indépendamment du nombre d'éosinophiles) doivent être
dépistés par un test sérologique pour
Strongyloides avant l'initiation d'un traitement immunosuppresseur.
Les patients avec des résultats sérologiques positifs peuvent
être traités empiriquement par
ivermectine.30
Stratégies thérapeutiques pour les maladies parasitaires chez les immigrants
Aux États-Unis, il n'existe pas de pratique de
référence pour le dépistage et le traitement des maladies
parasitaires chez les immigrants à risque. Les réfugiés
subissent généralement un examen dans un centre de soins
après leur arrivée aux États-Unis. Cependant,
l'évaluation post-arrivée varie selon les États et les
centres de soins locaux. Les immigrants non réfugiés et ceux
sans papiers sont peu susceptibles d'être soumis à un examen
médical à leur arrivée aux États-Unis. Le CDC
recommande, pour les parasites intestinaux, un traitement avant le
départ par une dose unique d'albendazole pour les
réfugiés en provenance d'Afrique et d'Asie du
Sud-Est.47 Ce
traitement est efficace contre Ascaris, Ankylostoma, et
Trichuris, mais n'est pas approprié dans la schistosomiase,
les infections filariennes, ou la strongyloïdiose. Les schémas
thérapeutiques actuellement disponibles peuvent cibler
simultanément plusieurs infections parasitaires, mais la mise en oeuvre
d'une stratégie simple nécessiterait une meilleure
caractérisation de la charge de l'infection parasitaire dans les
populations immigrantes spécifiques.48 Des prévalences
très élevées de la schistosomiase (44 %) et de la
strongyloïdiose (49 %) ont été trouvées dans un
groupe de réfugiés soudanais ; le CDC a donc recommandé
l'initiation d'un traitement empirique dans cette population de
réfugiés.47
Les recommandations concernant les populations d'autres origines
nécessitent des études complémentaires.
CONCLUSION
L'hyperéosinophilie asymptomatique est fréquemment
observée chez les voyageurs et les immigrants. Son évaluation
doit inclure un interrogatoire minutieux et un examen physique, des tests
biologiques de routine incluant le dosage des enzymes hépatiques, un
examen des urines et une sérologie VIH, ainsi que 3 examens
parasitologiques des selles. Un examen sérologique recherchant la
strongyloïdiose, la filariose, et la schistosomiase doit être
envisagé chez les patients avec une histoire pertinente de voyage ou
d'exposition à des risques parasitaires. Une co-infection par plusieurs
parasites peut survenir chez les immigrants originaires de zones
d'endémie, et une évaluation initiale complète peut
accélérer le traitement à la visite ultérieure.
Environ 50 % des voyageurs et des immigrants avec une hyperéosinophilie
asymptomatique ont des bilans négatifs. Ces patients peuvent être
traités conservativement par un dosage régulier des
éosinophiles, ou empiriquement pour une ankylostomiase occulte.
Cependant, les patients avec un nombre absolu d'éosinophiles
supérieur à 3 000/µL ou des élévations
persistantes (nombre absolu d'éosinophiles > 1 500/µL pendant
> 6 mois) sont à risque d'atteinte des organes cibles et doivent
subir une évaluation hématologique complémentaire. Tous
les patients originaires de zones d'endémie de Strongyloides et ceux
présentant une hyperéosinophilie inexpliquée doivent
subir un examen sérologique de dépistage de la
strongyloïdiose avant de recevoir un traitement immunosuppresseur.