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Prévention de la pneumonie acquise sous ventilation mécaniqueLes sondes endotrachéales enduites dargent pourraient-elles être la réponse ?
Jean Chastre, MD
JAMA. 2008;300(7):842-844
La Pneumonie Acquise sous Ventilation mécanique (PAV) est linfection liée aux unités de soins intensifs (ICU en américain) la plus souvent acquise parmi les patients recevant une ventilation mécanique et est responsable de 50% approximativement de tous les antibiotiques prescrits dans ce cadre. 1-3 Parce que la PAV a été associée avec une mortalité accrue, de plus longs séjours en hôpital, de coûts de soins plus élevés, et de taux de mortalité plus élevés, la prévention de cette infection représente un défi majeur pour tout le personnel des unités de soins intensifs. 1, 2, 4, 5De nombreuses stratégies préventives ont été testées, et des recommandations mises à jour ont été publiées. 6-9 Néanmoins, une évaluation de leffet de telles interventions est un problème majeur.
Trois difficultés méthodologiques limitent la valeur de la prise de mesure de lefficacité potentielle des stratégies pour prévenir la PAV. Spécifiquement, ce sont là les difficultés dans (1) lobtention dun diagnostic précis de PAV, parce que seuls les patients qui développent de vraies PAV vont probablement bénéficier de mesures préventives ; (2) la détermination précise de limpact des mesures prophylactiques sur la mortalité de bout en bout sur une population générale de soins intensifs pour identifier des décès évitables directement attribuables à une PAV parmi tous les décès se produisant dans une population de patients de soins intensifs ; et (3) lévaluation des conséquences dune mesure préventive sur un mécanisme potentiellement pathogène — un critère substitutif— pour déterminer le rôle exact joué par la prévention, la réduction, ou la modulation de la colonisation trachéale en modifiant le développement de PAV.
Dans cette publication de JAMA, Kollef et al. 10 rapportent les résultats de létude Nord Américaine sur la Sonde Endotrachéale Enduite dArgent (NASCENT en américain), qui a examiné lefficacité potentielle dune nouvelle sonde endotrachéale pour prévenir la PAV chez les patients de soins intensifs qui vont nécessiter une ventilation mécanique pendant 24 heures ou plus. Cette nouvelle sonde endotrachéale, qui est par ailleurs similaire aux dispositifs standards, est recouverte dions dargent microdispersés dans un polymère contenant et pourrait ainsi réduire potentiellement le taux de PAV en prévenant la formation de biofilm à sa surface et en gênant la colonisation bactérienne du tractus respiratoire, tous deux étant des facteurs clés prédisposant à linfection du parenchyme pulmonaire.
Plusieurs études ont clairement apporté des preuves que la plupart des cas de PAV résultent de laspiration dagents pathogènes qui ont colonisé les surfaces muqueuses de la cavité oropharyngée. 2, 11 La présence dune sonde endotrachéale compromet non seulement la barrière naturelle entre loropharynx et la trachée mais peut aussi faciliter lentrée de bactéries dans les poumons en masse et la fuite de sécrétions contaminées autour du manchon. Ce mécanisme se produit chez la plupart des patients intubés, dont la position couchée peut faciliter loccurrence de PAV.12 De plus, la formation de biofilm à la surface interne et externe de la sonde endotrachéale fournit un environnement protégé pour les germes. Des agrégats bactériens dans le biofilm délogés pendant laspiration peuvent ne pas être éradiqués par les antibiotiques ou effectivement éliminés par les défenses immunitaires de lhôte, constituant de ce fait de dangereux inoculums pour les poumons. Des données préliminaires obtenus dans des modèles animaux et de petites études humaines randomisées soutiennent aussi lhypothèse quune sonde endotrachéale recouverte à lintérieur et à lextérieur avec un produit antiseptique puissant comme largent pourrait exercer un effet antimicrobien soutenu à lintérieur des voies aériennes proximales et bloquer la formation de biofilm à sa surface. 13-15
Pour évaluer lutilité des sondes endotrachéales enduites dargent en pratique clinique, Kollef et al.10 ont réalisé un essai randomisé, multicentrique, en simple aveugle sur 1932 patients qui nécessitaient une intubation endotrachéale et une ventilation mécanique dans 54 centres en Amérique du Nord et les ont analysés pour savoir si lutilisation dune sonde endotrachéale enduite dargent conduisait à des épisodes de PAV moins nombreux, comme il fut évalué par des résultats de cultures quantitatives de sécrétions respiratoires distales obtenues par lavage bronchoalvéolaire. Les auteurs ont conduit cet essai en utilisant des critères cliniques et microbiologiques rigoureux, soigneusement définis pour diagnostiquer la PAV, en évitant le parti pris majeur, cest-à-dire une méthodologie diagnostique imprécise et non spécifique.
En se basant sur leurs découvertes pour les 1509 patients intubés pendant plus de 24 heures qui répondaient ainsi aux critères prédéfinis dune analyse modifiée dintention-de-traitement, Kollef et al. 10 ont conclu que le nouveau dispositif était capable dabaisser la fréquence de PAV de 7,5% pour le groupe de contrôle à 4,8% pour le groupe recevant la sonde endotrachéale enduite dargent. Ces découvertes correspondent à une réduction relative de risque de 35,9% et une réduction absolue de risque de 2,7%, suggérant que 37 patients devaient être traités avec la sonde enduite dargent pour prévenir 1 cas de PAV (IC 95% [IC], 19-369). Néanmoins lutilisation de sonde enduite dargent ne réduisit pas les taux de mortalité, la durée de lintubation, la durée de séjour en soins intensifs, ni la fréquence ou la sévérité deffets défavorables.
Kollef et al. 10 reconnaissent que leurs découvertes ont peut-être quelques limitations. Du fait de difficultés inhérentes à la conduite dun tel essai, dans lequel de nombreux patients navaient pas pu être inclus parce quil était impossible dobtenir un consentement éclairé dans le cadre requis pour une intubation durgence, seule une petite fraction de ces patients éligibles a été randomisée, menaçant ainsi la validité externe de lessai et sa pertinence clinique. De plus, 3 épisodes supplémentaires de PAV dans le groupe recevant la sonde enduite dargent auraient suffi pour rendre lessai statistiquement non concluant.
Cette absence de robustesse des résultats est particulièrement inquiétante pour 3 raisons. Premièrement, les investigateurs de soins intensifs étaient au courant, ce qui aurait pu introduire un parti-pris en faveur du nouveau dispositif.
Deuxièmement, les résultats quantitatifs du lavage bronchoalvéolaire pouvaient être manifestement influencés négativement par lintroduction de nouveaux antibiotiques, réduisant potentiellement artificiellement le taux de PAV du groupe dans lequel ces patients avaient été randomisés. Des niveaux plus bas obtenus de cultures quantitatives peuvent aussi représenter de véritables infections dans certains cas, spécialement lorsque ces techniques ne sont pas utilisées de façon appropriée—cest-à-dire, lorsquelles sont réalisées après lintroduction de nouveaux antibiotiques ou la modification du traitement antimicrobien précédent. 1
Troisièmement, un déséquilibre statistiquement significatif dans la proportion de patients avec une maladie chronique obstructive préexistante existait entre les 2 groupes, favorisant le groupe recevant la sonde endotrachéale enduite dargent. Cette situation est malheureuse, parce que la maladie est un facteur de risque reconnu pour la PAV, comme il a été démontré dans plusieurs études, bien quil nait pas été confirmé dans cet essai utilisant une analyse régressive. De plus, les investigateurs nont pas évalué les antibiotiques donnés spécifiquement pour traiter la PAV, et pour cette raison, on ignore si les patients randomisés pour recevoir la sonde enduite dargent avaient reçu moins dantibiotiques pendant la période de létude que les contrôles randomisés—ce qui aurait dû être le cas si le nouveau dispositif était effectivement capable dabaisser la PAV par un taux relatif de 35,9%.
En se basant sur les résultats de cet essai, les cliniciens devraient-ils reconsidérer les directives pour la prévention de PAV et utiliser une sonde endotrachéale enduite dargent chez tous les patients nécessitant une intubation et une ventilation mécanique en soins intensifs ? La réponse est probablement oui pour le sous-ensemble de patients à très haut risque de développer une PAV à début rapide, comme les patients atteints neurologiquement ou les patients atteints de traumatismes, parce quil est apparu que le plus grand effet de lintervention se développait pendant les 10 premiers jours de ventilation mécanique et était cliniquement pertinent, avec un effet minimal sur la charge de travail. En effet, le bénéfice de la sonde enduite dargent devrait être plus grand lorsque le risque de développer une PAV est élevé. La réponse nest pas si évidente pour dautres patients, particulièrement ceux nécessitant une ventilation mécanique prolongée. Comme le reconnaissent Kollef et al,10 le nombre de cas de PAV à début tardif survenus après 7 jours de ventilation mécanique dans leur étude était peu important, limitant leur capacité à démontrer lefficacité des sondes endotrachéales enduites dargent dans le cadre de la ventilation mécanique prolongée. Alors que ces infections à début tardif sont difficiles à prévenir, elles sont aussi difficiles à traiter et elles affectent le plus le pronostic.
Un problème-clé dans chaque essai évaluant une nouvelle stratégie préventive concerne la façon dont les patients étaient soignés dans le groupe de contrôle et comment les précautions standards pour empêcher la pneumonie, comme les directives le recommandaient, étaient mises en œuvre dans les unités de soins intensifs participantes. Du fait que la colonisation du tractus respiratoire chez les patients de soins intensifs est complexe, correspondant à un mélange dauto-colonisation et de transmission croisée, beaucoup dunités de soins intensifs utilisent maintenant des programmes à plusieurs facettes et multidisciplinaires, dans le but de prévenir la PAV. De tels ensembles de soins rendent possibles lintroduction de mesures préventives basées sur lévidence, parmi lesquelles des niveaux de personnel soignant appropriés,16 une hygiène des mains à lalcool, 17 des protocoles de sevrage et une interruption de la sédation quotidienne, 18 des soins buccaux à la chlorhexidine, 19, 20 une politique restrictive de transfusion, 21 et le fait de garder les patients recevant une nutrition par voie entérale en position semi-assise.22 Toutes ces mesures peuvent être successivement appliquées à tous les patients de façon coordonnée. Une expérience récente confirme les effets positifs de ces approches, et on ne sait pas si lutilisation de sonde endotrachéale enduite dargent diminuera plus le taux de VAP lorsque de telles mesures préventives sont prises. 23, 24 Selon les résultats des études cliniques randomisées et des méta-analyses, on a rapporté moins dinfections liées à un cathéter sur voie veineuse centrale lorsque des cathéters enduits dantiseptiques ou dantimicrobiens étaient utilisés ; globalement, cependant, leffet de ces dispositifs fut démontré ultérieurement se trouvait dans la même zone que ceux des programmes denseignement. 25-27
Dimportantes incertitudes existent concernant le bénéfice exact des sondes endotrachéales enduites dargent. En conséquence, les sonde enduites dargent ne devraient pas être vues comme la réponse définitive à la prévention de la PAV, et, jusquà ce que des données supplémentaires confirment lefficacité clinique et le bénéfice en matière économique de ces dispositifs, leur utilisation devrait être limitée aux patients à haut risque traités en unités de soins intensifs avec des taux dinfection à base de valeur de référence qui restent au-dessus des buts institutionnels malgré la mise en œuvre dune stratégie complète de mesures préventives habituelles pour prévenir la PAV. Aux Etats-Unis, les Centres de Services Medicare et Medicaid ont proposé de stopper les remboursements hospitaliers pour les soins rendus nécessaires par des complications que lon pouvait prévenir, parmi lesquels les infections nosocomiales. 28 Bien que ce plan puisse avoir les conséquences espérées damélioration de la qualité des soins, il peut aussi pénaliser les hôpitaux qui admettent des patients à risque élevé et encourager accidentellement des institutions à minimiser les PAV ou abuser dantibiotiques en favorisant ainsi la dissémination de micro-organismes multi-résistants. Cette possibilité souligne encore plus le besoin dévaluer avec soin toute nouvelle technologie visant potentiellement à prévenir les PAV contre ce qui représente les meilleures pratiques cliniques.
Informations sur les auteurs
| | Correspondance: Jean Chastre, MD, Institut de Cardiologie, Groupe Hospitalier Pitié -Salpêtrière, 43-87 blvd de LHôpital, 75651 Paris CEDEX 13, France (jean.chastre{at}psl.aphp.fr).
Révélations Financières : le Dr Chastre a rapporté avoir reçu des honoraires de consultation et de conférence de Pfizer, Brahms, Wyeth, Johnson & Johnson, Bayer-Nektar, et Arpida.
Les éditoriaux représentent lopinion des auteurs et du JAMA et pas celles de lAmerican Medical Association.
Affiliation de lauteur: Service de Réanimation Médicale, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Université Pierre et Marie Curie, Paris, France; Institut de Cardiologie, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris.
Voir aussi p 805.
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Cette semaine dans le JAMA-Français
JAMA. 2008;300:765.
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Sondes endotrachéales enduites dargent et incidence sur la pneumonie acquise sous ventilateur: Essai Randomisé NASCENT
Marin H. Kollef, Bekele Afessa, Antonio Anzueto, Christopher Veremakis, Kim M. Kerr, Benjamin D. Margolis, Donald E. Craven, Pamela R. Roberts, Ajeandro C. Arroliga, Rolf D. Hubmayer, Marcos I. Restrepo, William R. Auger, Regina Schinner, et Pour le Groupe dInvestigation NASCENT
JAMA. 2008;300:805-813.
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