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La ranolazine a-t-elle une place dans le traitement des syndromes coronaires aigus?
L. Kristin Newby, MD, MHS;
Eric D. Peterson, MD, MPH
Malgré un arsenal de médicaments et d'options de
revascularisation, des millions de personnes souffrent tous les jours de
symptômes angineux chroniques et aigus. Or, les médecins savent
qu'ils ont la responsabilité seulement de prolonger la vie et
d'éviter des complications pouvant s'avérer fatales, mais aussi
d'améliorer la qualité de vie. À cette fin, les essais
cliniques portant sur de nouvelles modalités de traitement des maladies
ischémiques cardiaques et la mise en pratique de nouvelles
thérapies devraient prendre en compte ces objectifs jumeaux.
La ranolazine se présente comme une thérapie anti-angineuse
d'un type nouveau capable, estime-t-on, de réduire les symptômes
en bloquant l'acidose intracellulaire et la surcharge de calcium qui
accompagnent l'ischémie du
myocarde.1,2
Des essais randomisés ont montré que la ranolazine réduit
les symptômes angineux et allonge le temps d'effort avant angor ou la
diminution du segment ST plus efficacement que les agents
thérapeutiques classiques tels que l'aténolol, le diltiazem et
l'amlodipine, et ce, sans effets hémodynamiques indésirables.
1,3,4
Cependant, ces essais d'une envergure et d'une durée limitées
n'ont pas pu évaluer l'efficacité de la ranolazine par rapport
à des critères cardiovasculaires cliniques aussi importants que
la mortalité ou l'infarctus du myocarde (IDM). En outre, des
préoccupations sécuritaires sont apparues associant
l'administration de la ranolazine à l'allongement de l'intervalle QT et
à de rares cas de syncope
inexpliquée.1
Bien qu'ayant en 2006 finalement autorisé la commercialisation de la
ranolazine sur le marché américain, l'administration
américaine pour les aliments et les médicaments (FDA) a
recommandé que de nouvelles études évaluent ces
préoccupations sécuritaires
persistantes.5
Dans ce numéro de JAMA, le Dr Morrow et collaborateurs 6
présentent les résultats de l'essai MERLIN TIMI 36 (Metabolic
Efficiency With Ranolazine for Less Ischemia in Non-ST-Elevation Acute
Coronary Syndromes), les résultats d'une importante étude
clinique randomisée conçue dans le but d'évaluer
l'efficacité et la tolérance de la ranolazine administrée
pendant la phase aiguë et chronique après un syndrome coronaire
aigu (SCA). L'essai MERLIN-TIMI 36 explore plusieurs questions clés. La
ranolazine pourrait-elle être un agent << modificateur de la maladie
>> capable de réduire les épisodes aigus, ou secondaires
mortels ou récurrents? Cet agent réduit-il de manière
significative les symptômes post SCA quand on l'associe à
d'autres agents anti-angineux? Et, tout d'abord et avant tout, cet agent
a-t-il fait preuve la preuve de sa tolérance quand on l'a
administré à une cohorte de patients présentant des
risques de SCA modérés à sévères? Pour
cette étude bien conçue et rigoureusement menée, une
importante cohorte de patients représentatifs a été
recrutée, les résultats à presque un an ont
été intégrés à la période
d'évaluation du traitement et le suivi a été complet.
Concernant le critère principal d'efficacité et comparé
au placebo, le traitement par ranolazine n'a pas réduit de
manière significative le risque de mort cardiovasculaire, d'IDM ou
d'ischémie récurrente (Risque relatif [RR] de 0,92 avec
intervalle de confiance [IC] à 95 % de 0,83 à 1,02). De
même, le traitement par ranolazine n'a pas réduit de
manière significative le principal critère secondaire composite
de mort cardiovasculaire, d'IDM ou d'ischémie récurrente
aiguë (RR de 0,96 avec IC à 95 % de 0,86 à 1,08).
Cependant, dans une analyse préliminaire prévue au protocole,
l'administration de la ranolazine a été associée à
une réduction modeste, mais significative, de toute incidence
d'ischémie récurrente (RR de 0,87 avec IC à 95 % de 0,76
à 0,99). Il y eut, par ailleurs, des réductions non
significatives des admissions pour ischémie ou pour
ischémie-revascularisation. Mais, parmi les patients sous ranolazine,
ce sont principalement les moindres taux d'angine aggravée (RR de 0,77
avec IC à 95 % de 0,62 à 0,96) et le besoin de doser la
thérapie anti-angineuse (RR de 0,81 avec IC à 95 % de 0,69
à 0,94) qui ont réduit les épisodes d'ischémie
récurrente. Ceci est apparu évident, en particulier parmi les
patients souffrant d'antécédents d'angor et parmi les femmes.
Ces résultats des sous-groupes de l'essai MERLIN-TIMI 36 justifient que
l'on élabore de manière appropriée des études
exploratoires formelles plus avancées.
Concernant la troisième question posée, l'essai MERLIN-TIMI
36 a démontré l'innocuité générale de la
ranolazine. Plus spécifiquement, on n'a pas relevé de
différence entre les principaux critères d'innocuité:
mortalité toute cause et incidence d'arythmies symptomatiques
observées. Comme lors des études précédentes, les
patients traités par ranolazine ont manifesté des taux de
prolongement QT légèrement supérieurs au placebo (0,9 %
contre 0,3 %, respectivement); cependant, le monitoring Holter de 7 jours a
relevé moins de dysrythmies dans le groupe ranolazine. Bien que ces
données d'innocuité soient rassurantes, on a relevé, chez
les patients traités par ranolazine, des taux de syncope
inexpliquée supérieurs à ceux du placebo (3,3 % contre
2,3 %, respectivement; P=0.01). Bien que ces résultats semblent
indiquer des épisodes d'arythmie occulte plus fréquents dans le
groupe ranolazine, l'incidence documentée des torsades de pointes a
été extrêmement faible tant dans le groupe de
contrôle que chez les patients traités par ranolazine.
Il convient d'inscrire ces résultats de l'essai MERLIN-TIMI 36 dans
le contexte des profils d'efficacité et d'innocuité des
traitements anti-ischémiques alternatifs. Des études cliniques
randomisées ont clairement démontré que les
bétabloquants sont capables non seulement de réduire les
événements cardiaques secondaires, mais aussi d'alléger
les symptômes. Une méta-analyse des essais randomisés de
bétabloquants après un infarctus révèle un
avantage modeste, mais significatif, de 13 % en termes de mortalité
(7). Cependant, certains patients ne supportent pas les bétabloquants
à cause de leurs effets secondaires, notamment le bronchospasme, la
bradycardie, la fatigue, la dépression et le dysfonctionnement
érectile. En outre, l'essai COMMIT (Clopidogrel and Metoprolol in
Myocardial Infarction
Trial)8 n'a
détecté aucun avantage en termes de survie après un
traitement par bétabloquants de patients après un IDM.
Utilisés intensivement pour traiter des patients souffrant d'un
dysfonctionnement du ventricule gauche, les bétabloquants ont
réduit les épisodes arythmiques, mais ont été
associés à un risque plus élevé d'issue fatale par
défaillance de la pompe.
Les dérivés nitrés sont des médicaments
anti-angineux de seconde intention offrant une longue série de
résultats et un profil d'innocuité acceptable. Ces
médicaments soulagent rapidement l'angor, mais leur effet sur les
résultats cliniques (mortalité) est faible ou non
existant.9,10
Les inhibiteurs des canaux calciques sont aussi des agents anti-angineux
efficaces, mais il faut les prescrire prudemment pour des patients atteints
d'un infarctus sévère et sujets à une défaillance
cardiaque (à cause d'un taux plus élevé
d'événements cardiaques). Les agents à effet rapide
peuvent en fait augmenter le risque de mortalité parmi des patients
atteints d'infarctus ou d'une angine
instable.11
Pour traiter un angor sévère, on utilise aussi
fréquemment la morphine, un analgésique/anxiolytique ancien.
Cependant, aucune donnée d'essais randomisés ne soutient cette
utilisation et une analyse basée descriptive de cet agent
soulève des questions sécuritaires
12. Pour le
long terme, la morphine n'est pas une solution anti-angineuse viable.
De nombreux cliniciens estiment que le traitement le plus efficace est la
revascularisation percutanée ou chirurgicale quand l'anatomie coronaire
s'y prête. Cependant, 2 essais récents remettent en question
cette stratégie et soulignent que, pour la gestion des symptômes,
le suivi à long terme est tout aussi efficace que le traitement
médical. Plus spécifiquement, l'essai ICTUS
13 (Invasive
vs Conservative Treatment in Unstable Coronary Syndromes), qui a
évalué pendant trois ans des patients CSA, a conclu qu'une
stratégie d'angiographie et de revascularisation sélectives
basée sur les symptômes pouvait être aussi ou plus efficace
qu'une intervention de routine. Cet essai a comparé la stratégie
invasive précoce et la stratégie d'utilisation sélective
au regard d'un critère principal composite de mortalité,
infarctus ou ré-hospitalisation pour symptômes angineux. (RR de
1,21 avec IC à 95% de 0,97 à 1,50). Conclusion importante:
à un an, le taux de réhospitalisation pour symptômes
angineux était moindre dans le groupe d'intervention invasive
précoce (RR de 0.68 avec IC à 95% de 0,47 à 0,98)
14, mais,
lors du suivi à trois ans, cette différence n'était
statistiquement plus significative (RR de 0,79 avec IC à 95% de 0.56
à 1,12). Dans l'essai
COURAGE15
(Clinical Outcomes Utilizing Revascularization and Aggressive Drug
Evaluation), des patients présentant des lésions coronaires
obstructives et une ischémie documentée ont subi une
intervention coronaire percutanée (ICP) en plus de suivre un traitement
médical optimal. Le suivi à 5 ans n'a pas relevé de
diminution du risque de mortalité ou d'infarctus dans ce groupe
comparé au groupe ayant seulement suivi un traitement médical
optimal. De plus, le taux d'absence d'angor du groupe ICP était un peu
meilleur que celui du groupe de thérapie médicale optimale
à 1 an (66 % contre 58 %, respectivement) et à 3 ans (72 %
contre 67 %, respectivement), cette modeste différence s'est
progressivement résorbée de manière telle qu'à 5
ans de suivi, la différence n'était plus significative (74 %
contre 72 %, respectivement; P=0,35). Cependant, jusqu'à 25 % des
patients ayant subi soit le traitement médical optimal
(bétabloquants, nitrates et inhibiteurs de canaux calciques) ou ces
agents plus l'ICP présentaient après 5 ans des symptômes
angineux significatifs. En plus de remettre en question le besoin d'une
revascularisation de routine, ces résultats soulignent le besoin
d'options thérapeutiques supplémentaires afin d'améliorer
les alternatives médicales existantes.
En conclusion, plusieurs messages importants se dégagent de l'essai
MERLIN-TIMI 36. D'abord, la ranolazine n'améliore pas de manière
significative le pronostic de sévérité ou
d'évolution. Dès lors, elle ne devrait pas constituer un
adjuvant de routine lors du traitement d'un événement coronaire
aigu. Ensuite, en termes d'agents anti-angineux, les bétabloquants et
les dérivés nitrés devraient toujours être
prescrits comme traitements initiaux. Quant à la ranolazine, son
meilleur profil d'innocuité et ses effets anti-angineux positifs
suggèrent qu'elle peut représenter une option de secours
susceptible d'intensifier le traitement anti-angineux en cas d'échec de
ces agents de première intention. Et finalement, avec la
redéfinition moderne du rôle central du traitement médical
dans la gestion des maladies cardiaques ischémiques chroniques, l'essai
MERLIN-TIMI 36 présage le développement d'agents
thérapeutiques novateurs supplémentaires dans une tentative
d'optimiser tant la gestion des symptômes que les résultats
cliniques.
Informations sur les auteurs
| | Correspondance: L. Kristin Newby, MD, MHS, Duke Clinical Research
Institute, PO Box 17969, Durham, NC 27715-7969
(newby001{at}mc.duke.edu).
Liens financiers: Le Dr Newby déclare avoir reçu une
subvention de recherche de Schering Plough, BMS-Sanofi, Inverness Medical et
Roche Diagnostics. Des honoraires de consultant ont été
versés par Atherogenics, Biosite, CV Therapeutics, Johnson &
Johnson/Scios, Procter & Gamble et Adolor. Le Dr Peterson déclare
avoir reçu une subvention de recherche de Schering Plough, BMS-Sanofi
et CV Therapeutics et des honoraires en tant que consultant au sein de
Schering Plough.
Affiliations des auteurs: Division of Cardiovascular Medicine and
Duke Clinical Research Institute, Duke University Medical Center, Durham,
NC.
BIBLIOGRAPHIE
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[published online ahead of print March 26, 2007]. N Engl J
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ARTICLE EN RAPPORT
Effets de la ranolazine sur la récurrence des événements cardiovasculaires chez des patients avec syndromes coronariens aigus sans surélévation du segment ST: Étude randomisée MERLIN-TIMI 36
David A. Morrow, Benjamin M. Scirica, Ewa Karwatowska-Prokopczuk, Sabina A. Murphy, Andrzej Budaj, Sergei Varshavsky, Andrew A. Wolff, Allan Skene, Carolyn H. McCabe, Eugene Braunwald, et Pour les investigateurs de l'étude MERLIN-TIMI 36
JAMA. 2007;297:1775-1783.
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